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Les éditions de la rue Dorion

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  • Islam et capitalisme
  • Islam et capitalisme

  • Maxime Rodinson

  • Préfaces d'Alain Gresh et d'Omar Benderra

  • 378 pages

  • À paraitre le 21 janvier 2025

  • Format 20 x 14 cm

  • ISBN : 978-2-924834-68-8

  • Prix : 32.95 $

  • --- Format e-pub ---

  • ISBN : 978-2-924834-67-1

  • Prix : 23.99 $

Dans quelle mesure l’islam a-t-il freiné le développement économique des pays dits « islamiques » ? L’a-t-il seulement influencé ? À travers une analyse matérialiste des liens entre la religion de Mahommet et les structures économiques du monde arabo-musulman, Maxime Rodinson montre que, comme chez ses homologues judaïques et chrétiens, la religion n’a pas été déterminante. Aucun interdit spécifique n’a jamais vraiment été imposé aux fidèles. Ainsi dans le monde musulman médiéval faisait-on fructifier l’argent avec autant d’entrain que de réussite. Le capitalisme y existait donc, sous différentes formes. Comme toutes les grandes religions, l’islam n’a pas échappé aux lois historiques, qui ont influencé ses lectures et interprétations. Les « retards » constatés en matière économique sont donc le résultat d’autres facteurs – au premier rang desquels figure la colonisation.

Socialiste convaincu, Maxime Rodinson couple son analyse historique de données contemporaines et se demande si l’islam peut avoir son rôle à jouer dans une révolution socialiste des pays musulmans – seule perspective pour faire advenir la justice sociale.

« Il n’est qu’un moyen sûr au monde pour que les non-privilégiés obtiennent que leurs droits d’êtres humains soient respectés, c’est de leur donner une part au contrôle du pouvoir politique, d’abolir le plus de privilèges qu’il est possible, et de garantir ces conquêtes par des institutions adéquates et solides. On peut décorer, si l’on veut, ces institutions de la phraséologie des préceptes musulmans, chrétiens, juifs, bouddhistes, stoïciens, kantiens et de mille autres. Cela fera même justice à un certain sens de ces préceptes. Mais les préceptes sans les institutions ne sont que vaine littérature et honteux camouflage d’iniquités fondamentales. »

Une analyse historique, sociologique, économique, religieuse et anthropologique qui n’a rien perdu de sa pertinence pour toutes celles et ceux qui cherchent des références pour comprendre l’actualité du monde arabo-musulman.

En Europe, cet ouvrage paraît chez Agone (Marseille).

Maxime Rodinson (1915-2004), historien, sociologue, linguiste diplômé d’amharique, d’arabe littéral, d’arabe maghrébin, d’arabe oriental, de turc et d’hébreu, a fait paraître plus d’une douzaine d’ouvrages sur le Proche-Orient et l’islam. Issu d’une famille juive russo-polonaise anéantie par le nazisme, il a été membre du Parti communiste français de 1937 jusqu’à son exclusion en 1958 et a été un ­avocat inlassable de la cause palestinienne.

Les nations sous-développées ne sont pas encore sorties de leur purgatoire ; la « décolonisation » ne leur a pas apporté la rédemption attendue. Infatigable Cassandre, M. René Dumont les avertit : si vous ne vous amendez pas, aucune aide extérieure ne vous permettra de vous évader de votre univers famélique.

Qu’adviendrait-il cependant si des facteurs internes, des particularités tenant à leur nature, condamnaient irrémédiablement les peuples déshérités à la stagnation, si les réprouvés économiques étaient placés devant le dilemme : ou bien renoncer à leur originalité, ou bien abandonner tout espoir de jamais s’aligner sur les « nantis » ?

La question se pose tout spécialement pour les pays qui se réclament d’un même Dieu, Allah, d’un même prophète, Mahomet, d’un même livre, le Coran. Est-ce l’idéologie religieuse qui, par ses contraintes, a provoqué les retards économiques constatés dans les pays islamiques ?

Renan naguère avait été brutal : « Le dogme musulman a eu des conséquences abrutissantes. » L’opinion moyenne avait trouvé un interprète en la personne d’un magistrat qui se piquait d’orientalisme : « L’attitude fataliste musulmane… a enrayé l’esprit d’initiative, paralysé l’activité matérielle, plongé le pays dans la léthargie. » En interdisant l’aléa et le prêt à intérêt, éléments moteurs du capitalisme, le Coran aurait d’emblée placé les croyants en état d’infériorité par rapport à leurs concurrents israélites ou chrétiens.

D’authentiques musulmans se sont inscrits en faux contre ces affirmations. Ceux que l’on a appelés les modernistes déclarent qu’une bonne lecture du Coran démontre qu’il ne s’oppose nullement à l’initiative individuelle et ne peut en rien entraver le développement industriel et commercial d’une nation.

Or voici qu’une voix s’élève pour affirmer que ces discussions sont hors de propos car elles s’appuient sur un postulat inadmissible : c’est une erreur de croire que le Coran ait condamné ou prescrit aux fidèles un système ou un mode de production particuliers ; aucune « vocation économique » qui serait propre à l’Islam n’y est prévue (1). Le monde islamique est spécifique ; c’est à tort qu’on l’a présenté comme exceptionnel. La religion musulmane s’est imposée aux esprits avec une énergie incontestable, mais, comme toutes les autres religions, elle a obéi aux règles générales de l’histoire, c’est-à-dire que, dans le domaine économique, elle a eu par elle-même peu d’influence sur les orientations ou sur les structures fondamentales.

Ecrit par un homme qui s’est appliqué à arracher les masques et à dénoncer les mystifications, Islam et capitalisme (2) sera remarqué aussi bien par ce qu’il conteste et fustige que par ce qu’il apporte. Rédigé dans un style vigoureux, le livre prend par moments une allure polémique : ni les « pseudo-savants » ni les faiseurs de « mauvais livres » n’y sont ménagés.

Quels titres justifient ces réprimandes et ce ton irrité dans un ouvrage qui se veut — et qui est — de science ?

Les amis de M. Maxime Rodinson rappellent qu’autodidacte il s’est d’abord imposé à lui-même la rigueur dans l’information et dans le raisonnement qu’il exige des commentateurs ; ses lecteurs prennent rapidement conscience de sa double qualité d’orientaliste et de marxiste. Orientaliste puisqu’il a longtemps séjourné au Moyen-Orient et enseigné l’éthiopien et le sud-arabique anciens à l’Ecole des hautes études ; marxiste puisque, ayant quitté le « parti lors des remous post-staliniens, il n’en considère pas moins comme solidement établies les grandes thèses socio-historiques dégagées par Marx et affirme ouvertement sa foi dans un socialisme épuré.

Pour M. Rodinson, donc, les facteurs idéologiques ne sont ni premiers ni déterminants. L’Islam, certes, a exercé une très forte emprise sur les esprits, mais, dans la pratique, les prescriptions canoniques en ont été progressivement adaptées à l’état des sociétés. Les conditions sociales ont stimulé l’expansion de l’Islam et lui ont fourni des thèmes idéologiques. Des situations concrètes ont suscité des interprétations variables selon les époques ; les mêmes textes ont été utilisés pour justifier des comportements différents. Il est même advenu que des motifs économiques aient emprunté des masques idéologiques pour susciter des ruptures ou des schismes.

Le Coran demande que soit observée la justice sociale ; il n’a pas évité l’oppression des pauvres ou des déshérités par les puissants et les riches.

Dans le même Coran, il est fait appel à des raisons supra-rationnelles ; il est parlé de prédestination et de soumission à la volonté divine. Des notions semblables se retrouvent à la base d’autres religions. Pas plus dans les nations musulmanes qu’ailleurs elles n’ont empêché l’apparition de diverses formes de capitalisme. Dès le Moyen Age et malgré les interdits canoniques – ambigus au surplus — sur l’aléa et le prêt à intérêt, un capitalisme marchand et financier s’était constitué en pays d’Islam. On savait y faire fructifier l’argent.

Des retards par rapport aux nations occidentales ont été ensuite observés. Contrairement à ce qu’on pourrait déduire des célèbres thèses de Max Weber, la religion musulmane n’en porte pas — pas seule en tout cas — la responsabilité ; des retards semblables ont été constatés dans des Etats non islamiques — la Chine pour n’en citer qu’un seul, — et les colonisateurs européens qui les dénoncent y ont eu leur part : ce sont eux qui, à leur profit, ont imposé des servitudes et ont en conséquence freiné le mouvement qui s’amorçait dans différents pays.

Historique, Islam et capitalisme se veut également prophétique et didactique. Moraliste aussi quand il condamne le « démon de l’argent ». Et il en vient au rigoureux syllogisme en vue duquel, sans aucun doute, il a été rédigé.

M. Rodinson prévoit que, pour parfaire leur indépendance, les nations du « tiers monde » seront amenées à s’industrialiser. Or la confiscation par les capitalistes, et à leur profit, du généreux courant libéral humanitaire confirme qu’entre le socialisme et le capitalisme il n’y a désormais plus de troisième voie. Les Pays musulmans passeront donc inévitablement par une période de luttes des classes. Jamais les riches ou les puissants n’accepteront de renoncer volontairement à leurs privilèges ; seule la violence permettra d’assurer, par des institutions, la justice sociale.

Cette lutte ne pourra pas être menée au nom de l’Islam. Facteur complémentaire et efficace lors de la bataille pour la libération nationale, la religion musulmane ne peut plus l’être dans une épreuve de force pour le changement des structures politiques, économiques et sociales à l’intérieur du pays. D’une part, en effet, l’Islam a consacré la propriété privée ; il est lié historiquement, dans les esprits, à la société traditionnelle pour qui cette propriété était un droit intangible ; d’autre part les possesseurs de ces biens ont l’habileté de se présenter comme des parangons de dévotion. Parler de « socialisme islamique » ou de « socialisme arabe », c’est commettre un contresens historique et c’est sacraliser l’état actuel de la société.

Comme les aspirations à la justice sociale iront en se renforçant, l’Islam risque d’être emporté dans la tourmente. Il le sera, écrit Rodinson, s’il ne se trouve pas des fidèles pour dénoncer les interprétations réactionnaires qui en sont faites, pour dégager des valeurs applicables aux couches du monde moderne qui réclament l’abolition des privilèges sociaux, pour « désacraliser » l’économie prétendument islamique. Et aussi pour renoncer à l’intolérance envers leurs compatriotes détachés de la croyance en Allah et contraints aujourd’hui à l’hypocrisie sociale.

M. Rodinson écrit qu’il y a mille espèces de marxistes. Les interprètes des textes canoniques de l’Islam se répartissent en des variétés plus nombreuses encore. Il était fort utile que lui, marxiste de la mille et unième espèce, apporte sa voix à ce concert — même discordant. Reste à savoir comment l’appel à l’« aggiornamento » de l’Islam qui termine un livre corrosif sur l’un des grands débats de l’époque sera accueilli par les premiers intéressés, par les fidèles d’une religion sans clergé ni concile.

R. G.

(1) Autour de ce concept de « vocation économique de l’Islam », M. J. Austruy a publié des livres ou études où il a développé des Idées dont M. Rodinson entend apporter la réfutation.

(2) Islam et capitalisme, de Maxime Rodinson, Editions du Seuil, Paris, 1966.

Contre les préjugés sur les sociétés musulmanes

Comment analyser les sociétés du monde musulman ? L’islam offre-t-il une grille d’analyse pour comprendre leur développement et leurs problèmes ? À ces questions encore posées de nos jours, Maxime Rodinson tentait déjà de répondre il y a près de cinquante ans. Islam et capitalisme, publié en 1966, permettait de démonter les arguments selon lesquels l’islam aurait causé le « retard » des sociétés « musulmanes » et arabes. Réédité aujourd’hui, cet ouvrage reste d’actualité.

Combien de fois a-t-on utilisé des passages du Coran pour expliquer la violence d’Al-Qaida ou celle de telle ou telle organisation labellisée islamiste ? Quel journal n’a pas tenté d’examiner le développement en Égypte ou au Pakistan par le poids de la religion ? Combien "d’intellectuels" médiatiques assènent une vérité définitive sur « le monde musulman » ou « les musulmans » par la religion prêchée par le prophète Mohammed ? Lire Islam et capitalisme, publié il y a près de cinquante ans, éviterait ces raccourcis. L’auteur, Maxime Rodinson, est un historien des religions et un sociologue marxiste français (1915-2004). Fils de communistes juifs ayant fui les pogroms de Russie pour Paris (son père mourra à Auschwitz), il est l’un des penseurs les plus prolifiques de sa génération. Autodidacte, il a appris le guèze (éthiopien ancien), des langues sud-yéménites, l’arabe, le turc et l’hébreu. Il s’est illustré par des écrits sur les religions, en particulier l’islam, et sa biographie du prophète Mohammed est célèbre. Membre du Parti communiste français qu’il quitte en 1958, il s’est focalisé sur l’étude des structures socio-économiques des sociétés musulmanes.

Dans Islam et capitalisme, Rodinson s’oppose à la fois à une vision trop dogmatique du marxisme et à ceux qui analysent les événements qui touchent le monde arabe et le monde musulman par le seul prisme de l’islam. Pour lui, les facteurs socio-économiques sont bien plus déterminants que la religion, même s’il n’en sous-estime pas la portée, sachant qu’elle peut être un levier redoutable pour ceux qui l’instrumentalisent.

Le capitalisme, modèle économique dominant

En dépit de ses crises successives, le capitalisme reste le système économique dominant. En 1966, quand Rodinson écrit ce livre, il est largement considéré en Occident comme un progrès et les pays occidentaux imputent le retard supposé des sociétés arabes et islamiques au Coran et à la religion musulmane. « Pas plus que le Coran, la sonna (sic) ne se prononce bien évidemment sur le capitalisme ! », écrit-il, avant de déconstruire point par point les arguments des détracteurs en se basant sur la révélation divine — réputée inaltérable rappelle-t-il — et la sunna, vie du Prophète rapportée par ses compagnons et ses proches.

La prédestination, le fatalisme et la magie qui caractériseraient l’islam - religion prétendûment opposée à la rationalité - empêcheraient le développement d’une société capitaliste ? Faux, ils sont davantage présents dans le judaïsme et le christianisme, argumente-t-il. Croire au destin est certes un pilier de la foi islamique, mais le fatalisme et la destinée ne sont pas synonymes d’impuissance ou d’inactivité : le « grand djihad » signifie littéralement fournir des efforts pour s’améliorer et améliorer la société dans le même temps souligne Rodinson. Pour contredire l’argument d’irrationnalité, l’auteur cite les versets appelant à la réflexion, affirmant que l’islam est la plus rationnelle des trois croyances monothéistes : seuls ceux qui réfléchissent à la création et sont dotés d’intelligence reconnaissent l’existence d’un Dieu unique. Il ne s’agit en aucun cas de croire sans comprendre.

Ensuite, détenir des biens et prospérer n’est incompatible ni avec les sociétés arabes, ni avec l’islam. La piété est le seul critère de supériorité aux yeux de Dieu, mais l’enrichissement n’est pas remis en cause. Avant l’avènement de l’islam, les Arabes et les Mecquois étaient connus pour être de grands commerçants. Le prophète Mohammed a d’ailleurs été l’époux de la riche Khadija, dont les affaires étaient prospères. Elle l’avait recruté et les qualités commerciales du futur prophète de l’islam retinrent son attention8. Ainsi, avant d’être un prophète, Mohammed a été un commerçant.

Rodinson souligne également que ces sociétés ont plutôt intérêt à développer les richesses : le troisième pilier de l’islam est la zakat, un impôt annuel obligatoire versé sous des conditions de revenus par chaque musulman-e aux nécessiteux. « S’enrichir par le bien et le partage est islamique (…). Ce qui est en revanche interdit, ce sont les pratiques frauduleuses (…), vendre, acheter des substances illicites comme le vin et le porc (...) spéculer sur des biens communs telles que l’eau (...) les denrées alimentaires (...) l’accaparement ou encore la vente aux enchères quand le vendeur ne sait pas quel prix il tirera de son produit, par exemple », décrit-il. Mais ces interdictions sont vues comme des pratiques « entravant le libre jeu d’une économie libérale » par l’Europe et les États-Unis, puissances impérialistes au cœur du développement du capitalisme. Une autre interdiction de l’islam a été avancée pour expliquer le fameux « retard » : celle du prêt à intérêt riba (usure), qui empêcherait de s’enrichir. L’historien des religions rappelle que les trois religions monothéistes condamnent l’usure. Il explique ensuite que cet argument ne tient pas car il est tout de même pratiqué et que, très tôt dans l’histoire de l’islam, des fatwas permettent de contourner la stricte interdiction...

Au-delà de ce cas précis, il rappelle que les musulmans, s’ils sont une communauté de croyants, ne constituent pas, bien évidemment, un groupe homogène. Il expose nombre de visions divergentes, de débats des différentes écoles de pensées pour en conclure que ce ne sont pas les savants qui influencent la société mais les pratiques sociétales qui engendrent des changements et jurisprudences, dans la droite ligne de l’ijtihad : l’effort constant de réflexion des savants et juristes musulmans pour interpréter les textes et en déduire le droit (en fonction de critères tels que le contexte). Rodinson puise ses exemples au Maroc, en Égypte, dans l’empire ottoman ou en Arabie saoudite et au Pakistan. S’il s’oppose au sociologue Max Weber et aux orientalistes qui ont une approche essentialiste de ces pays, il ne partage pour autant pas l’idée des musulmans qui citent l’islam comme base du socialisme idéal.

Vision coloniale

Rodinson a critiqué tout au long de son parcours une représentation biaisée de l’islam et des musulmans ; pour autant, il n’idéalise pas les États musulmans et nuance l’idée, répandue cette fois parmi les musulmans, que l’islam règlerait les problèmes - y compris économiques - et pour cause : « Ce n’est pas le Coran qui façonne la société mais la société qui puise dans le Coran ce qui peut lui correspondre. » Il confronte ici les principes prônés par l’islam à la réalité : « la justice que recherchaient les musulmans les plus soucieux de rester fidèles à l’idéal coranique (…) : un État dirigé selon les principes de Dieu traitant tous les croyants à égalité (…) pratiquant une entraide aux frais des plus fortunés et au bénéfice des plus pauvres ». Pourtant, dans les sociétés musulmanes, des patrons exploitent leurs employés et des propriétaires spolient ceux avec qui ils détiennent un contrat comme au Pakistan et en Arabie saoudite, pays fondés sur l’idéologie islamique où les inégalités, le non-respect des droits fondamentaux sont flagrants.

Mais l’historien ne sous-estime pas pour autant le rôle des puissances étrangères. Son livre s’inscrivait dans le contexte révolutionnaire post-colonial où le socialisme occupait une place centrale ; des réformes économiques (agraires, industrialisation), politiques (panarabisme), sociales (éducation, santé) étaient en cours dans les pays critiqués par les anciennes puissances coloniales. L’auteur évoque justement leur rôle dans ce sous-développement qu’elles dénoncent : il explique comment des systèmes (politiques, taxes ou prises de contrôle comme en Iran) mis en place par les colonisateurs ont empêché le développement d’une industrie capitaliste et en même temps justifié les colonisations, qui auraient apporté la « modernité » aux pays colonisés. Et pour finir sa démonstration, il cite l’exemple de la Chine et du Japon à qui l’on reproche les mêmes « tares » alors qu’il ne s’agit pas de sociétés musulmanes.

Ce texte est d’autant plus d’actualité qu’après un nouveau cycle de révoltes, des forces se réclamant de l’islam politique ont pris le pouvoir. La doctrine des Frères musulmans est ainsi résumée par eux dans le mot d’ordre « l’islam est la solution ». Une "solution" qui a varié selon les époques : dans les années 1960, les Frères musulmans se réclamaient d’un socialisme islamique jamais mis en application. Ils espèrent désormais trouver une voie musulmane au capitalisme mais n’ont dans l’ensemble pas été capables de résoudre les problèmes économiques.

Ainsi, c’est avec une grande rigueur et sans jugement de valeur que Rodinson contredit ceux qui, dans une démarche d’essentialisation, recherchent dans l’islam une explication à tous les actes des musulmans — ce qu’ils ne font pas avec les autres religions. Personne ne cherche dans la Bible des explications aux situations des pays d’Amérique latine. Il s’agit, comme à l’époque de Rodinson, de se demander pourquoi et surtout qui continue d’analyser les sociétés musulmanes et les méfaits des musulmans par l’unique biais religieux. Et dans quel but ces questions sont instrumentalisées.

Warda Mohamed

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