« Allez puiser les talents du pays entier, faites naître de grandes espérances », lançait un slogan de recrutement de l’entreprise taïwanaise Foxconn — massivement implantée en Chine — dans les années 2010. Effectivement, de jeunes migrant·es venus des campagnes chinoises, âgé·es de 15 à 25 ans, constituent la main‑d’œuvre favorite de cette entreprise qui fabrique près de 40 % de l’électronique de la planète et compte un million de salarié·es. Or loin de faire naître des espérances, Foxconn, qui développe un « régime fondé sur l’autocratie managériale et la corvée du travail à la chaîne », fracasse les vies de centaines de milliers de jeunes ouvrières et ouvriers. En 2010, on dénombre dix-huit tentatives de suicide sur les principaux complexes industriels de la firme, dont quatorze se sont soldées par la mort et quatre par des séquelles irréversibles. Une culture d’entreprise fondée sur la punition et l’humiliation, des heures supplémentaires systématiques et non payées, une taylorisation extrême de la production enferment les salarié·es dans un travail qui peu à peu les anéantit, les éteint. Ce petit livre en trois parties allie approche sociologique, versant littéraire et charge critique pour cerner la violence qui se cache derrière le « savant jeu d’ombre et de lumière que permet la division mondiale du travail ». Car si « l’imaginaire de l’informatique a occulté son double matériel, l’électronique », de la Silicon Valley et du culte grandissant d’une vie « dématérialisée » à grands renforts d’iPhones, découle une prédation attentatoire à la vie des travailleurs et travailleuses. En témoigne l’histoire de la jeune Tian Yu, paralysée après avoir sauté du quatrième étage de son dortoir de l’usine Longhua à Shenzhen, le 14 mars 2010. En témoignent, aussi, les poèmes écrits par Xu Lizhi, ouvrier et poète désespéré qui mit fin à ses jours le 30 septembre 2014. Pourtant, cette pierre angulaire de la production mondiale n’a en rien modifié ses pratiques, et tout tient dans la rengaine de son PDG Terry Gou : « croissance, ton nom est souffrance ». [L.M.]
Xu Lizhi, Jenny Chan, Yang
Édition établie, postface et traduction par Celia Izoard
Celia Izoard et Alain Léger
120 pages
Parution le 3 mai 2022
Format 17 x 12 cm
ISBN : 978-2-924834-32-9
Prix : 17.95 $
--- Format e-pub ---
ISBN : 978-2-924834-34-3
Prix : 11.99 $
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La machine est ton seigneur et ton maître
La vie des ouvriers et des ouvrières des usines chinoises du plus grand fabricant du monde dans le domaine de l’électronique
« Les machines ressemblent à d’étranges créatures qui aspirent les matières premières, les digèrent et les recrachent sous forme de produit fini. Le processus de production automatisé simplifie les tâches des ouvriers qui n’assurent plus aucune fonction importante dans la production. Ils sont plutôt au service des machines. Nous avons perdu la valeur que nous devrions avoir en tant qu’êtres humains, et nous sommes devenus une prolongation des machines, leur appendice, leur serviteur. J’ai souvent pensé que la machine était mon seigneur et maître et que je devais lui peigner les cheveux, tel un esclave. Il fallait que je passe le peigne ni trop vite ni trop lentement. Je devais peigner soigneusement et méthodiquement, afin de ne casser aucun cheveu, et le peigne ne devait pas tomber. Si je ne faisais pas bien, j’étais élagué. »
Foxconn est le plus grand fabricant du monde dans le domaine de l’électronique. Ses villes-usines, qui font travailler plus d’un million de Chinois·es, produisent iPhone, Kindle et autres PlayStation pour Apple, Sony, Google, Microsoft, Amazon, etc. En 2010, elles ont été le théâtre d’une série de suicides d’ouvriers et d’ouvrières qui ont rendu publiques des conditions d’exploitation fondées sur une organisation militarisée de la production, une taylorisation extrême, l’absence totale de protection sociale et une surveillance despotique jusque dans les dortoirs où iels vivent.
Ce livre propose quelques éléments d’analyse du système Foxconn à partir du portrait que fait la sociologue Jenny Chan d’une ouvrière qui a survécu à sa tentative de suicide en 2010. Complété par le témoignage de Yang, un étudiant et ouvrier de fabrication à Chongqing, il retrace également le parcours de Xu Lizhi, jeune travailleur migrant chinois à Shenzhen, qui s’est suicidé en 2014 après avoir laissé des poèmes sur le travail à la chaîne, dans « L’atelier, là où ma jeunesse est restée en plan ».