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Les éditions de la rue Dorion

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  • La ruée minière au XXIe siècle
  • La ruée minière au XXIe siècle

    Enquête sur les métaux à l’ère de la transition

  • Celia Izoard

  • 344 pages

  • Parution le 6 février 2024

  • Format 14 x 19 cm

  • ISBN : 978-2-924834-52-7

  • Prix : 26.95 $

  • --- Format e-pub ---

  • ISBN : 978-2-924834-53-4

  • Prix : 19.99 $

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Une nouvelle ruée minière d’une ampleur inédite a commencé. Au nom de la lutte contre le réchauffement climatique, il faudrait produire en vingt ans autant de métaux qu’on en a extrait au cours de toute l’histoire de l’humanité. Ruée sur le cuivre en Andalousie, extraction de cobalt au Maroc, guerre des ressources en Ukraine, cette enquête sur des sites miniers du monde entier révèle l’impasse et l’hypocrisie de cette transition extractiviste.

En analysant la nouvelle géopolitique minière, Celia Izoard met au jour un autre enjeu : répondre aux besoins en métaux colossaux du numérique, de l’aérospatiale ou de l’armement, dans un monde où les industries occidentales rivalisent avec les superpuissances des ressources que sont devenues la Chine et la Russie. Sous la bannière de la « civilisation », du « développement », la mine a joué un rôle structurant dans l’expansion du capitalisme. À l’ère de la « transition », comment dépasser ce régime minier auquel les élites ont suspendu notre destin ?

Celia Izoard est journaliste et philosophe, spécialiste des nouvelles technologies au travers de leurs impacts sociaux et écologiques. Elle est l’autrice de Merci de changer de métier. Lettre aux humains qui robotisent le monde (2021) et coautrice de La machine est ton seigneur et ton maître (2022). Elle a traduit 1984 de George Orwell (2019) et Le livre de la jungle insurgée d’Alpa Shah (2022). Tous ces livres sont publiés aux Éditions de la rue Dorion.

Cet ouvrage est le fruit d'une collaboration avec les Éditions du Seuil et paraît en France dans la collection « Écocène ».

Au Canada, « la mine est un instrument de torture colonial » par Celia Izoard Mediapart, 6 janvier 2025

Le gisement du projet Strange Lake est hautement radioactif, et toutes les communautés qui ont des droits sur ces terres y sont opposées. Les entreprises s'appuient sur le traumatisme des communautés autochtones pour avancer leurs projets.

Alors que les projets miniers se multiplient au Canada, menaçant les terres autochtones, certains membres des Premières Nations organisent la lutte face aux entreprises extractivistes et aux gouvernements.

« La meilleure chose à faire pour le climat, c'est de laisser respirer ces terres » , a déclaré Rick Cheechoo après un silence. Sur la carte du Canada épinglée au mur, il les indique en posant délicatement la main sur la zone concernée, comme s'il auscultait un poumon. Pour passer quelques jours de novembre dans ce centre communautaire de Montréal, Rick et d'autres membres de la Première Nation crie ont parcouru 1400 kilomètres depuis les rives de l'Arctique.

Le nord de la province canadienne de l'Ontario, où ils vivent, abrite l'un des deux plus grands complexes de tourbières au monde. Ces « terres respirantes », comme on les appelle en langue crie, sont le territoire ancestral de neuf Premières Nations différentes qui y pratiquent la trappe (c'est-à-dire le piégeage), la pêche et travaillent le bois. Mais depuis la découverte en 2007 de gisements de nickel, de palladium et de cuivre, il a été rebaptisé « Ring of Fire » par les entreprises minières qui y détiennent des dizaines de permis d'exploration.

Comme le nickel peut servir à la fabrication de batteries et le cuivre à toutes sortes d'usages électriques, le projet prétend opportunément extraire des « minéraux critiques pour la transition » . Pourtant, il nécessite de construire une route de 500 kilomètres et menace un gigantesque puits de carbone naturel comparable aux forêts tropicales, dont la destruction relarguerait de grandes quantités de méthane. ---

Selon un groupe de recherche de l'Université Laurentienne de Sudbury, le drainage des tourbières du nord de l'Ontario libérerait dans l'atmosphère l'équivalent des émissions annuelles de 39 milliards de voitures. « Bien sûr, une mine ne va pas tout détruire d'un coup , nuance Louise Nachet, doctorante à l'Université Laval (Québec) sur les enjeux extractifs. Mais une fois la route construite, les écosystèmes risquent d'être menacés par d'autres projets. »

Demande en métaux exponentielle

À Montréal, dans la grande salledu Centre St-Pierre qui bruisse de cris d'enfants et de bavardages, la carte du continent est couverte de points colorés, un pour chacune des localités représentées cette année aux rencontres du Western Mining Action Network, un réseau nord-américain de « communautés affectées par l'extraction minière oji ». La majorité de ces communautés sont des Premières Nations : Algonquins de l'Ontario, Attikameks de Haute-Mauricie, Ojibwés des Grands Lacs...

Toute la journée, dans ces ateliers, on parle de stratégie, de climat, de la santé des caribous. Et on pleure, parfois, comme cette oratrice qui vient d'apprendre que l'unique point d'eau de sa communauté est pollué aux métaux lourds.

Si les peuples autochtones du Canada - cinquante Premières Nations, ainsi que les Inuits et les Métis - sont confrontés aux industries extractives depuis l'arrivée des Européens, les projets d'extraction de graphite, de lithium, d'uranium ou d'or se multiplient. La demande en métaux est exponentielle, portée par l'industrialisation des Brics , le secteur du numérique, la mise en production de milliards de batteries automobiles et la militarisation globale. Pour soutenir la guerre commerciale des puissances occidentales face à la Chine, le Canada a réaffirmé sa vocation de superproducteur de ressources. Dans les seules provinces du Québec et de l'Ontario, plus de 700000 permis de recherche ont été accordés, tous en territoires autochtones.

Des métaux pour les industriels français et européens

En cette fin novembre, au congrès Mines + Energie de Québec, le ministère des ressources naturelles réunissait les entreprises minières autour de l'ambition du Québec de devenir le « chef de file mondial en matière de minéraux critiques et stratégiques » .Pour la deuxième annéeconsécutive, on pouvait y croiser un envoyé de Matignon, Benjamin Gallezot, délégué interministériel à l'approvisionnement en minerais et métaux stratégiques (Diamms). En octobre 2023, la France a signé un accord de coopération bilatéral avec le Canada , puis une « déclaration d'intention » avec le Québec sur « les métaux critiques indispensables à la transition énergétique et numérique » . Au printemps 2024, un accord a été conclu avec la province du Saskatchewan pour l'achat d'uranium destiné aux centrales nucléaires.

« Plusieurs projets au Canada intéressent beaucoup les industriels français et européens », a déclaré le Diamms à la tribune, par exemple, « des terres rares pour approvisionner l'usine Solvay de La Rochelle » . Le géant européen de la chimie a créé en 2022 une nouvelle unité de production d'aimants permanents de haute technologie destinés à l'électronique, aux véhicules électriques, aux drones et aux éoliennes. Les matières premières dont elle a besoin sont le néodyme, le praséodyme, le terbium - des terres rares dont la production est particulièrement polluante. Au Québec, un projet de production baptisé « Strange Lake » a été lancé par l'entreprise canadienne Torngat Metals à 1000 kilomètres au nord de Montréal, sur la Côte-Nord. ---

C'est justement de là que venaient les délicieux homards frits mangés la veille, au Centre St-Pierre de Montréal : c'est un Innu de Sept-Îles, Roger Michel, qui les a pêchés. Dans les années 2010, avec sa communauté et un groupe de médecins, il s'est battu avec succès contre la création de mines d'uranium au nord du Québec. Aujourd'hui, Torngat Metals compte exploiter un gisement de la même zone, cette fois pour en extraire des terres rares.

« Ce gisement est hautement radioactif, et toutes les communautés qui ont des droits sur ces terres sont opposées au projet Strange Lake - les Innus, les Inuits et les Naskapis » ,a expliqué Marc Fafard, un ancien ingénieur, qui vit parmi les Innus depuis trente ans et travaille comme consultant juridique auprès des communautés autochtones.Le projet de mine, lui aussi présenté comme « indispensable à la lutte contre le changement climatique » , est situé près du lac Brisson où plusieurs communautés chassent le caribou et pêchent une partie de l'année.

Pour le raffinage du minerai, une usine serait construite sur la Côte-Nord, dans la zone industrielle de Sept-Îles, juste à côté de la réserve de Uashat où vivent 1500 personnes. Ces Innu·es, encore nomades il y a quelques décennies, ont déjà payé un lourd tribut à l'extraction minière. En 1949, ils ont été sédentarisés de force dans cette réserve pour permettre la mise en exploitation d'une mine de fer située à 300 kilomètres de là.

Traumatisme colonial

La raffinerie de Torngat Metals se trouverait à quelques centaines de mètres de la réserve. Elle concentrerait mille tonnes de terres rares par jour au moyen d'acides et de solvants, ce qui générerait des millions de tonnes de résidus radioactifs. Ce bassin toxique d'un kilomètre carré se trouverait aussi « à proximité du lac des Rapides où la ville puise maintenant notre eau potable, puisque toutes les autres nappes phréatiques sont contaminées par l'industrie » , détaille Marc Fafard. Malgré l'opposition de la majorité des habitant·es, un fonds de l'État fédéral « pour l'infrastructure des minéraux critiques » vient d'attribuer au projet une subvention de 10 millions de dollars canadiens.

Elysia Petrone, avocate d'origine ojibwée

Le Canada s'est engagé depuis une vingtaine d'années dans une politique nationale de « réconciliation » vis-à-vis des peuples autochtones. En 2008, le pays a présenté des excuses officielles pour le « génocide culturel »qu'a constitué le système des pensionnats , clé de voûte du système colonial. Entre 1894 et le milieu des années 1990, les enfants autochtones ont été systématiquement enlevés à leurs familles dès 6 ou 7 ans et placés dans des pensionnats religieux. Les élèves y étaient punis s'ils parlaient leur langue et ont souvent subi des violences physiques et sexuelles. Des milliers d'entre eux, morts de malnutrition et de mauvais traitements, n'en sont jamais revenus . ---

« Les addictions, les suicides d'adolescents, les violences...énumère Elysia Petrone, avocate d'origine ojibwée basée à Thunder Bay, au bord du lac Supérieur. Ce que nous vivons dans les réserves résulte en partie de ce traumatisme intergénérationnel . À cause de tous ces problèmes, les communautés renoncent souvent à lutter contre les projets miniers ,poursuit cette membre de Mining Watch Canada venue assister à la rencontre au Centre St-Pierre. Les entreprises s'appuient sur le traumatisme des communautés autochtones pour avancer leurs projets. »

Le titre autochtone

La Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît l'existence d'un titre autochtone (on parle aussi d'un titre aborigène) sur des terres, lorsque les Autochtones occupent des territoires que leurs ancêtres habitaient lors du contact avec les Européens, qu'un principe de continuité peut être établi entre l'occupation première et actuelle, et que ce titre n'a jamais été cédé de quelque façon que ce soit. Le titre autochtone est un droit territorial collectif et inaliénable, sauf par le gouvernement fédéral. En d'autres termes, il constitue un droit ancestral, mais différent des autres droits ancestraux également reconnus par la Loi constitutionnelle, car il comporte un droit d'utilisation qui ne se limite pas à des usages traditionnels.

En théorie, le Canada respecte la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (2007): un projet minier ne peut être réalisé sans leur « consentement préalable, libre et éclairé ». Mais « le système dufree mining , qui date des ruées vers l'or du XIX esiècle, contrevient directement à ce principe » , explique Rodrigue Turgeon, avocat et porte-parole du réseau Pour que le Québec ait meilleure mine. En un clic, n'importe quelle entreprise peut obtenir un permis d'exploration sur un territoire sans même en avertir les communautés détentrices de droits. Ce permis lui permet de construire un camp, de réaliser des forages et d'autres activités de prospection. Rodrigue Turgeon qualifie ce régime minier d' « instrument de torture colonial » .

Les Algonquins du lac Barrière font partie des rares Premières Nations à avoir trouvé les moyens de se défendre, avec l'appui du Centre québécois du droit de l'environnement. Le 18 octobre dernier, la Cour suprême leur a donné raison contre le gouvernement du Québec, qui avait attribué des permis d'exploration sans les consulter. Cette jurisprudence pourrait aboutir à invalider rétrospectivement des dizaines de milliers de permis attribués selon la même procédure en un clic. Mais le 4 décembre, le gouvernement a fait appel de cette décision. Une situation emblématique de l'ambivalence de l'État canadien, dont les ambitions extractivistes contredisent le repentir colonial.

Actions autochtones pour le climat

En 2015, dans son rapport sur le système des pensionnats, la Commission de vérité et réconciliation concluait que cette réconciliation nécessitait de « reconnaître les torts qui ont été causés, d'expier les causes et d'agir pour changer les comportements ».Le Canada peut-il « expier les causes » tout en cherchant à devenir un « fournisseur mondial de métaux critiques » ? « Les pensionnats étaient une manière pour les colonisateurs de s'approprier les terres , rappelleDonna Ashamock, membre de Mining Watch Canada, installée dans la communauté crie de Kitchenuhmaykoosib Inninuwug (« le lac de la grosse truite »), au nord de l'Ontario. Déraciner les enfants autochtones servait à faire place nette pour les activités extractives : mines, industrie forestière, barrages. Je ne peux pas me réconcilier avec le colonisateur s'il ne démonte pas sa propre maison. Et l'extraction de ressources est le pilier de sa maison. »

Donna Ashamock fait partie d'Indigenous Climate Action, un réseau d'entraide « ancré dans les communautés et porté par la jeune génération » qui s'organise avec des peuples premiers du monde entier. Ce réseau valorise les pratiques de subsistance autochtones face à la catastrophe écologique et récuse les ententes « Répercussions et avantages » proposées aux Premières Nations par les entreprises minières. « La mine apporte une vie où l'on ne peut plus boire l'eau des lacs et pêcher, où les animaux sont malades , conclut-elle. Une vie où on doit tout acheter, il n'y a rien de plus fragile. Si nous conservons l'eau, les terres et la biodiversité, il nous restera quelque chose pour résister au changement climatique. »

Dans La ruée minière au XXIe siècle, la journaliste Celia Izoard affirme que la transition énergétique est une vaste opération d’écoblanchiment, beaucoup plus profitable aux grandes corporations qu’à l’habitabilité de notre planète.

Pour Izoard, également philosophe et essayiste (Merci de changer de métier, La révolte luddite), le passage idéalisé de l’énergie fossile à l’énergie renouvelable s’avère un marché de dupes aux dangerosités cachées et aux profits mal partagés« Continuer à faire croire […] qu’il est possible de supprimer les émissions de carbone en électrifiant le système énergétique mondial est un mensonge criminel », écrit l’autrice, prônant la décroissance. « On ne peut miser sur les énergies renouvelables qu’en réduisant drastiquement la production et la consommation. Et cela nécessite des bouleversements majeurs que les élites du capitalisme mondialisé se refusent de faire. »

Les matières nécessaires 

La conclusion d’Izoard repose sur le fait qu’il faudrait multiplier jusqu’à un niveau inédit dans l’histoire de l’homme la production et la transformation de minéraux afin d’espérer électrifier ne serait-ce que le parc automobile planétaire. Une augmentation vertigineuse de la production qui se jumèle avec la croissance fulgurante du nombre de minéraux exploités. Un téléphone contient 50 métaux différents, rappelle la journaliste.Mais la transition n’est jamais qu’une figure rhétorique. Dans la pratique, elle cède le pas aux nombreux champs de la numérisation, à l’aérospatiale, aux télécommunications, etc.Si le cuivre est utile à la transition, il est majoritairement utilisé pour le secteur du bâtiment et du numérique. Quelles quantités de métaux seront nécessaires à l’augmentation attendue du nombre de centres de données? Et pour la 5G? Un expert en économie circulaire cité dans l’ouvrage estime que celle-ci nécessitera des quantités monstrueuses sinon prohibitives de palladium, de ruthénium, de terbium, de béryllium et de graphite.

Écologique ou numérique

« La croissance du numérique a en quelque sorte été embarquée discrètement comme un passager clandestin de la transition », résume Celia Izoard.Il est vrai que le terme « minéraux critiques », selon certaines définitions, désigne autant les matières premières nécessaires à la « nouvelle énergie » qu’à « notre avenir technologique ». Et que les minéraux critiques sont difficilement dissociables des minéraux stratégiques, définis comme constituant « un enjeu économique et politique majeur », une autre dynamique analysée par l’autrice de La ruée minière.Quoi qu’il en soit, pour elle, transition écologique et croissance numérique sont incompatibles.

Les mines 4.0

Celia Izoard analyse aussi l’évolution de l’industrie minière. La fameuse mine 4,0 où le pétrole fait bon ménage a surtout évolué dans sa productivité et son gigantisme, très peu dans son approche dans la sauvegarde de l’environnement, avance-t-elle. « La mine 4,0 cumule la voracité en ressources de l’extraction et celle de l’informatique », résume Izoard.La ruée minière a le potentiel d’accentuer le chaos climatique, de rendre la planète plus invivable par la pollution des eaux, la destruction de la biodiversité et des conditions de subsistance des populations, l’accumulation de déchets toxiques.Discours catastrophiste, éloigné de la réalité? À voir. De prime abord, l’œuvre apparait solide et bien documentée. Dans la lignée de La guerre des métaux rares, de Guillaume Pitron, c’est un livre troublant qui vaut la peine d’être réfuté, sinon d’ouvrir un dialogue.

La journaliste et essayiste Célia Izoard rend compte avec clarté des enjeux écologiques et géopolitiques de la course actuelle aux minerais : lithium, nickel, cobalt, cuivre, graphite ou terres rares… Trente-quatre sont classés comme stratégiques par l’Union européenne, et cinquante par les États-Unis. Alors qu’« en seulement vingt ans, les volumes de métaux extraits dans le monde ont doublé », les besoins vont exploser d’ici 2040, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). L’extraction — cuivre, lithium, cobalt, manganèse, etc. — est notamment destinée à fournir les « matières premières des technologies bas carbone », et, ce qui est moins connu, sert à l’industrie du numérique, de l’armement… Avec 12 % de l’énergie consommée dans le monde, elle utilise d’énormes ressources d’eau et menace autant la biodiversité que les conditions de subsistance de la population. La relative rareté et la concentration de ces métaux dans certains pays inaugurent un nouveau cycle de la compétition entre puissances.

Eugène Berg

par Roxane Léouzon le 5 février 2024

La transition énergétique telle qu’elle est promue par les entreprises, les institutions et les gouvernements partout dans le monde repose sur l’extraction d’une quantité abyssale de métaux. C’est ce paradoxe que décortique la journaliste et philosophe Celia Izoard dans son essai intitulé La ruée minière au XXIe siècle, qui paraît cette semaine au Québec aux Éditions de la rue Dorion. « Pour régler le plus important problème écologique de tous les temps, on a recours à l’industrie la plus polluante que l’on connaisse », résume l’autrice en visioconférence avec Le Devoir depuis son domicile, situé en pleine campagne dans le sud-ouest de la France. Cette dernière examine depuis plusieurs années les impacts sociaux et écologiques des nouvelles technologies. Elle a notamment publié un livre sur la vie des ouvriers de l’entreprise chinoise Foxconn, le plus grand fabricant de produits électroniques au monde. Ironiquement, nos outils numériques font défaut au cours de l’entrevue, si bien que nous devons poursuivre la discussion par le biais d’une bonne vieille ligne téléphonique résidentielle. Les métaux ont beau être de plus en plus présents dans les objets qui nous entourent, dont les multiples écrans, l’industrie minière fait très peu partie de l’imaginaire collectif actuel, explique Mme Izoard d’un ton posé et réfléchi. « Je croise tous les jours des gens qui me disent : “Ah bon, je ne savais pas que notre système reposait encore sur la mine.” Ça me conforte dans l’idée que c’était utile de faire cette enquête. Notre système n’a jamais autant reposé sur l’extraction minière qu’aujourd’hui. » L’extraction de métaux a déjà doublé en vingt ans et elle n’est pas en voie de s’amenuiser, puisque les énergies dites renouvelables, des batteries pour voitures électriques aux panneaux solaires en passant par les éoliennes, en dépendent. Elle est susceptible d’augmenter de cinq à dix fois d’ici à 2050, selon une évaluation de l’Agence internationale de l’énergie. « Électrifier le parc automobile français nécessiterait toute la production annuelle de cobalt dans le monde et deux fois plus que la production annuelle de lithium dans le monde. Donc soit cette transition prendra beaucoup trop longtemps et ne freinera pas le réchauffement climatique, soit elle se fera dans la plus grande violence et une destruction incroyable », rapporte l’autrice. On bascule d’une forme d’extraction, du pétrole, à une autre, des métaux. « Cela n’a pas plus de sens que d’essayer de venir à bout de la toxicomanie remplaçant une addiction par une autre », juge-t-elle.

Une justification officielle Les pouvoirs publics ne semblent pas y voir de problème. Ils font largement la promotion de cette ruée minière, promettant le développement de « mines responsables ». La transition est la nouvelle excuse pour justifier pratiquement tous les projets miniers. « Une mine de cuivre est devenue miraculeusement une mine pour la transition », souligne Mme Izoard. Pourtant, le cuivre sert à de multiples usages au-delà de l’électrification, comme l’électronique, l’aérospatiale et l’armement. C’est dans ce contexte que la journaliste est partie à la recherche de mines responsables. Elle s’est documentée, elle a visité des sites d’exploitation, elle a consulté des experts de ce secteur d’activité et elle a rencontré des travailleurs, tout cela en France, au Maroc, au Suriname et en Espagne. Malgré les engagements publics et les certifications de plusieurs entreprises minières envers des pratiques durables et les droits de la personne, Celia Izoard n’a pas trouvé ce qu’elle cherchait. Au cours de cette quête, elle a publié une enquête pour le média Reporterre au sujet d’une mine marocaine mise en avant par les constructeurs automobiles BMW et Renault comme étant du « cobalt responsable ». Or, il s’est avéré que cette mine empoisonne les sols à l’arsenic, dessèche la nappe phréatique et cause des maladies aux travailleurs. « La mine industrielle est un modèle qui est voué à avoir des impacts catastrophiques à moyen et long terme. Ce n’est pas parce que ces entreprises sont méchantes et malhonnêtes, mais parce qu’il y a des contraintes physiques dans cette activité. Elle nécessite énormément d’eau et d’énergie, elle occupe beaucoup d’espace et elle déforeste. »

Boues toxiques et pluies d’oies sauvages Dans son livre, Mme Izoard décrit de nombreux ravages et risques environnementaux qui sont matière à donner froid dans le dos. Les premières pages sont notamment consacrées au phénomène du Berkeley Pit, une ancienne mine de cuivre devenue un lac acide causant la mort de milliers d’oies sauvages. « Rappelons-nous la rupture de digue de résidus de la mine de cuivre et d’or de Mount Polley en 2014, lors de laquelle 17 millions de mètres cubes d’eau chargée en métaux toxiques ont irréversiblement contaminé de très grandes superficies et des ressources en eau d’une valeur inestimable, a-t-elle souligné au sujet de cette catastrophe canadienne. Or, des bassins de résidus de même type, il y en a 172 rien qu’en Colombie-Britannique, et les boues toxiques qui y sont stockées représentent l’équivalent d’un million de piscines olympiques. Malheureusement, avec le chaos climatique, les risques de rupture accidentelle de ces barrages sont décuplés. » Elle considère d’ailleurs que le Canada est « au coeur de la tourmente extractiviste ». Les gouvernements du Québec et du Canada soutiennent généralement que le développement minier sur leur territoire respectera des normes environnementales plus strictes, en plus d’utiliser de l’énergie plus propre. Cet argument justifierait-il l’implantation de nouvelles mines ? Non, estime Mme Izoard. « Aucun État puissant industriellement ne relocalise sa production minière ni ne s’engage à cesser d’importer des métaux. Ce qui est en train de se passer, c’est que les besoins en métaux explosent dans tous les domaines et que les entreprises minières et les États se sont mis d’accord pour créer des mines partout où il est possible d’en créer. Ce n’est pas parce qu’on accepte une mine dans sa région qu’il n’y aura pas de mine pour la même substance à l’autre bout du monde. » Il est peu probable, par exemple, que des batteries produites au Québec s’affranchissent totalement des métaux importés.

Pour une décroissance minérale Celia Izoard estime plutôt qu’une grande partie des mines du monde devraient fermer, puisqu’elles sont situées dans des zones menacées par la sécheresse. Nous n’aurions alors pas d’autre choix que de nous engager dans une désescalade de la consommation de métaux, « une remise en cause radicale de la manière dont on vit ». Selon cette vision, il faudrait contraindre l’ensemble du secteur industriel à se limiter, tout comme on lui demande de réduire ses émissions de GES. Les métaux devraient être réservés aux usages alors déterminés comme étant essentiels. Les immenses centres de données, les avions, les VUS électriques et les canettes d’aluminium sont-ils nécessaires à la vie humaine ? « Il faut arrêter de se laisser intimider par le déterminisme technologique, soit l’idée que le progrès suit cette direction et qu’on ne peut rien changer. Ce sont des choix idéologiques et politiques très précis avec du financement public très important. Il faut cesser de penser que les technologies sont inéluctablement déployées et qu’on ne peut pas revenir en arrière. »

La ruée minière au XXIe siècle : Enquête sur les métaux à l'ère de la transition Celia Izoard, Éditions de la rue Dorion, Montréal, 2024, 344 pages

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