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Les éditions de la rue Dorion

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  • La guerre d'Espagne
  • La guerre d'Espagne

  • Burnett Bolloten

  • Traduit de l’anglais par Étienne Dobenesque

  • 1276 pages

  • Parution le 16 janvier 2015

  • Format 24 x 16 cm

  • ISBN : 978-2-9813527-2-9

  • Prix : 50 $

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La révolution espagnole fut la plus singulière des révolutions collectivistes du XXe siècle. C’est la seule révolution radicale et violente qui se soit produite dans un pays d’Europe de l’Ouest et la seule qui ait été, malgré l’hégémonie communiste croissante, véritablement pluraliste, animée par une multitude de forces, souvent concurrentes et hostiles. (extrait de la préface)   Maîtrisant une immense bibliographie, ce classique hors-norme offre non seulement une synthèse magistrale de l’histoire de la guerre d’Espagne mais aussi la possibilité de comprendre comment naissent, sont brisés et se perpétuent les rêves d’une société de justice et de bonheur.

Originaire du Pays de Galles, correspondant de l’agence United Press en Espagne en 1936, Burnett Bolloten (1909-1987) part pour le Mexique avant de s’installer en Californie en 1949 sans jamais cesser de travailler sur ce livre, dont il établira trois éditions, complétées et corrigées pendant cinquante ans en fonction des nouvelles sources disponibles et des débats autour de la guerre d’Espagne.

Nourri des Grands cimetières sous la lune de Bernanos, le roman de Salvayre est également inspiré par la lecture de « livres d’histoire », évoqués allusivement, dont la narratrice présente un résumé didactique de quelques pages au milieu du roman. L’ouvrage de Burnett Bolloten, publié récemment sous le titre La guerre d’Espagne, Révolution et contre-révolution 1934-1939, pourrait très bien figurer dans cette liste.

Correspondant britannique de la United Press au moment du conflit, témoin direct des événements, Bolloten a par la suite consacré sa vie à en reconstituer la trame, particulièrement du côté républicain. La Révolution et la contre-révolution du titre de son énorme synthèse ne désignent donc pas le camp du Front populaire et celui de la réaction franquiste comme on serait porté à le penser, mais bien celui des forces considérées progressistes (anarchistes, socialistes de gauche, militants du POUM) s’opposant à celui jugé contre-révolutionnaire de parti communiste. C’est sur cette division interne du front répu­blicain qu’insiste aussi surtout Salvayre dans Pas pleurer notamment à travers la rivalité de Josep et de Diego. 

À l’été et l’automne 1936, dans la phase la plus bouillonnante de la Révolution, les grèves, les occupations d’usines, la prise de contrôle des municipalités, la création de milices populaires, l’expropriation des grandes propriétés terriennes et leur autogestion sont soutenues, sinon carrément impulsées par les anarchistes, la gauche radicale du parti socialiste, le POUM en Catalogne, et dans une moindre mesure par la gauche républicaine, qui n’apprécie pas les excès qui accompagnent souvent ces mouvements, et par le Parti communiste qui s’avère ambivalent face à des débordements qui, pour lui, pourraient compromettre la révolution et nuire à l’effort de guerre contre les fascistes qui demeure son objectif prioritaire.

Petite organisation au début de la guerre civile, le Parti communiste va connaître une progression fulgurante, passant de 40 000 membres à plus de 250 000 en l’espace de quelques mois. Il recrute dans le milieu ouvrier, chez les salariés agricoles, mais aussi chez les petits commerçants, les fermiers indépendants, les intellectuels auxquels il se présente comme un parti d’ordre opposé aux exactions et aux exagérations des anarchistes : saccages de banques, destructions d’églises, expropriations sauvages. Il s’impose par une force fondée sur la cohésion politique – qui est celle de l’Internationale communiste et de la stratégie des fronts populaires – et sur la discipline de groupe qui fait contraste avec la légendaire (et réelle) indiscipline anarchiste. Bolloten, qui critique sévèrement ce parti dans son livre, lui donnera même un temps raison, dans le feu de l’action, estimant qu’une organisation disciplinée était sans doute nécessaire pour défaire militairement les troupes fascistes.

Contrairement au Parti communiste, les anarchistes, qui constituent la force politique la plus puissante de la gauche au tout début de la guerre civile, s’avèrent ambivalents face au pouvoir. Par principe, ils refusent la police, l’armée, les patrons, l’État, la discipline. Leur implication dans les instances du pouvoir, à tous les niveaux, ne va donc pas de soi. D’où leurs nombreuses valses-hésitations tout au long du conflit entre leur refus de principe de participer au gouvernement et leur acceptation d’y aller, irrésolution qui va leur être fina­lement fatale. C’est en effet le Parti communiste qui va en être le principal bénéficiaire, écrasant les libertaires après avoir décimé le POUM en Catalogne avant d’être vaincu lui-même par les armées de Franco.

L’ouvrage de Bolloten, qui représente une véritable somme, l’œuvre d’une vie entière, présente et analyse dans le détail ces conflits déterminants pour le cours de la Révolution espagnole, vaincue à la fois par ses ennemis de classe et par les dissensions surgies en son propre sein. Et le travail d’édition accomplie par les Éditions de la rue Dorion mérite d’être salué : le livre est magnifique et se lit avec le plus grand plaisir.

Pourquoi ne pas aller passer ses vacances en Espagne ? C’est un beau pays, pittoresque, on y mange bien et le soleil change agréablement des brumes londoniennes. C’est probablement ce que s’est dit le jeune Burnett Bolloten, citoyen britannique et correspondant de l’agence de presse américaine AP en juillet 1936.

Juillet 1936 ! Burnett Bolloten est de gauche, et sans être encarté nulle part, vaguement sympathisant du parti communiste. C’est un bon journaliste, habitué des enquêtes, des interviews. 17 juillet : Franco lance son coup d’Etat. La bourgeoisie républicaine, tétanisée, cherche à négocier, n’est pas loin de se rendre. Le mouvement ouvrier, CNT en tête, va en décider autrement. Et à la faveur de la résistance au coup d’Etat, va se développer la révolution sociale la plus radicale que le monde ait jamais connue.

Oubliées les vacances ! Burnett Bolloten multiplie les reportages, les entrevues avec des militants et des responsables de tout l’éventail politique et syndical républicain. Il n’est militant d’aucun parti, ce qui lui ouvre largement toutes les portes, d’autant qu’aussi bien la république que les révolutionnaires éprouvent le besoin de faire connaître à l’étranger la réalité de la situation espagnole.

Rapidement, Burnett Bolloten va se rendre compte que derrière l’unanimité de façade du gouvernement, des luttes sourdes agitent le camp républicain. Et surtout il se rend compte que le discours officiel, « il s’agit d’une lutte entre la démocratie et le fascisme, entre un gouvernement légal et des militaires factieux, » dissimule en fait une révolution sociale d’une ampleur encore inconnue.

Mais en même temps, une conspiration du silence s’organise autour de cette révolution tandis que toutes les forces politiques, y compris, hélas, la direction de la puissante CNT, vont tenter de l’étouffer.

Au premier rang de ces forces de la contre révolution, le Parti communiste d’Espagne, le PCE, et son appendice catalan, le Parti socialiste unifié de Catalogne, le PSUC.

Groupuscule sans guère d’influence en dehors de quelques villes (notamment Madrid et Séville) le PCE va agir comme l’instrument docile de la politique étrangère de l’URSS dont les intérêts de grande puissance ne coïncident nullement avec ceux de la révolution espagnole.

Inquiète de la montée en puissance du nazisme et dans une moindre mesure du fascisme italien, l’URSS cherche à constituer un front avec les démocraties occidentales, notamment la France et la Grande-Bretagne. L’URSS ne veut donc surtout pas apparaître comme une menace, comme l’hydre communiste menaçant les pays capitalistes, mais comme un rempart de la démocratie face à l’expansionnisme hitlérien. La révolution espagnole va lui fournir le meilleur prétexte pour prouver à la France et à la Grande-Bretagne qu’elle est seulement préoccupée par la défense de la légalité républicaine et démocratique et par la volonté de lutter contre la menace nazie. Mais dans le même temps, le parti communiste espagnol, force minuscule au départ, va rapidement viser l’hégémonie au sein du camp républicain tout en protestant de son indéfectible bonne foi démocratique.

C’est ce double, ce triple jeu que va découvrir Burnett Bolloten et qu’il passera sa vie à décrire avec une rigueur quasi chirurgicale. La première édition de ce livre, en anglais, portera d’ailleurs le nom de The Grand Camouflage. Plusieurs éditions tant en anglais que dans différentes langues, notamment le français et l’espagnol, verront le jour au cours des années, jusqu’à la dernière, parue en 1991, sous le titre de The Spanish Civil War. Revolution and Counterrevolution. C’est cette ultime version, dont les dernières épreuves ont été corrigées par Burnett Bollotten juste avant sa mort, qui est aujourd’hui parue aux éditions Agone, dans une excellente traduction due à Etienne Dobenesque, et dans une édition très soigneusement établie par Philippe Olivera et Thierry Discepolo.

Cette dernière version reprend avec des modifications considérables la traduction en français parue en 1977, avec cinq nouvelles parties totalement inédites. C’est dire que l’on a affaire à un ouvrage bien différent de celui qui passait déjà pour une véritable somme sur la guerre et la révolution espagnoles.

Aux côtés du classique de Pierre Broué et Emile Témine, la Révolution et la guerre d’Espagne, de l’Espagne libertaire de Gaston Leval, de l’Autogestion dans l’Espagne révolutionnaire de Frank Mintz, de Révolution et contre révolution en Catalogne de Carlos Semprun Maura, du Mouvement anarchiste en Espagne de César M. Lorenzo et de quelques autres, le livre de Burnett Bollotten (plus d’un millier de pages !) apparaît comme l’un des ouvrages majeurs sur la question.

Non qu’il soit au-dessus de toute critique et notre ami Frank Mintz a pointé quelques insuffisances dans ses appréciations du mouvement de collectivisation, notamment dans le domaine industriel : http://www.fondation-besnard.org/sp…;. Pour autant, ces quelques réserves, justifiées, ne diminuent en rien l’intérêt majeur de cet ouvrage qui réside avant tout dans l’examen impitoyable des menées communistes aussi bien au sein des différents gouvernements qu’à l’arrière et sur les fronts.

On connaissait déjà, bien sûr, la façon dont un parti plutôt squelettique s’était gonflé comme une outre dans les quelques mois qui suivirent l’explosion révolutionnaire en se présentant avant tout comme un parti d’ordre et de discipline. Comment il avait rallié de larges fractions de la petite bourgeoisie, des fonctionnaires, de la police et de l’armée effrayées par l’ouragan révolutionnaire qui menaçait de les emporter. On savait comment ce parti qui manquait cruellement non seulement d’une base ouvrière mais aussi de cadres compétents, avait été cornaqué par les centaines de « conseillers » soviétiques qui l’avaient infiltré dans tous les rouages de l’appareil d’Etat et notamment dans l’armée. On connaissait le chantage aux armes pratiqué par l’URSS, ces armes payées par l’or de la banque d’Espagne commodément envoyé par bateau dans la « patrie des travailleurs. »

Il manquait pourtant la description minutieuse des manœuvres, complots et assassinats qui avaient fini par assurer au parti stalinien une place dominante au sein de l’appareil républicain. Pour ce faire, Burnett Bolloten s’appuie sur une documentation immense, le plus souvent de première main, même s’il n’ignore rien de l’imposante littérature sur le sujet. Il a été journaliste, il est devenu historien, manifestant dans l’un et l’autre domaine des qualités et une rigueur impressionnantes.

A la lecture de son ouvrage, on reste également confondu devant la pusillanimité et parfois la couardise non seulement du parti socialiste, manipulé ou écrasé quand certains de ses militants se rebiffaient, ce qui, au fond, n’est guère surprenant, mais surtout de la direction de la CNT, principale force révolutionnaire d’Espagne, qui, par antifascisme politicien, a laissé l’Etat républicain dominé par les communistes dépouiller lentement la révolution de toutes ses conquêtes, a laissé les staliniens assassiner ses militants sans réagir.

L’année 2016 verra le quatre-vingtième anniversaire du début de la révolution espagnole et l’on peut craindre les commémorations les plus affligeantes, depuis les universitaires, soulagés de pouvoir embaumer dans les draps du savoir historique l’insurrection qui partit à l’assaut du ciel, mais aussi des « anarchosyndicalistes » patentés, plus soucieux de revendiquer des étiquettes prestigieuses que d’agir aujourd’hui pour en finir avec le capital. 

Pourtant, le plus bel hommage que nous pouvons rendre à nos camarades qui ont accompli ce qui reste à ce jour la révolution la plus radicale que le monde ait jamais connue, c’est bien de poursuivre leur combat pour l’émancipation du genre humain.

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