Dans cet essai philosophique féministe, Mara Montanaro nous présente, entre autre, l’internationalisme et les coalitions féministes, depuis les luttes latino-américaines, à Abya Yala. Elle fixe tout d’abord son paradigme, pour une philosophie féministe subversive et critique, qui remet en question l’universel de la tradition patriarcale de la philosophie. Elle rappelle également l’importance de se positionner.
L’autrice commence par élaborer autour du sujet politique féministe « Nous les femmes» et le paradoxe qu’il crée. En effet, il y a exigence politico-militante de parler avec ce «nous» mais en même temps, il faut faire attention à ne pas tomber dans l’essentialisme.
« S’il existe une expérience commune des femmes, ce serait celle de l’absence d’essence. »
Cela nous amène au trouble dans le genre (cf. Butler et Wittig) et à une critique de la binarité ainsi qu’au désir «queer». Les différences dans cette catégorie «femmes» que nous pouvons également percevoir grâce aux femmes subalternes du sud globale nous conduisent à conceptualiser les intersections des oppressions et à penser un féminisme décolonial. Créer des coalitions en vue d’objectifs concrets et nous unir est primordial. Ces mouvements sont intersectionnels, car les subjectivités féministes sont toujours croisées et multiples.
En Amérique latine, on peut noter des problématiques spécifiques comme l’occultation des conceptions précoloniales du genre, la déshumanisation des femmes colonisées ou encore les débats autours de l’existence du patriarcat dans les sociétés autochtones précolombiennes. Le but n’est pas d’effacer la différence coloniale entre les femmes mais de la penser, en une résistance qui refuse l’intégration. L’autrice nous montre ensuite comme est apparue la grève féministe de 2019 en Amérique latine et ses intrications avec le travail reproductif. Sur les pas de Segato et Federici, elle montre la guerre qui est faite contre le corps des femmes et les liens entre celle-ci et les violences institutionnelles. L’essai retrace la généalogie qui a engendré ce mouvement-là.
À Abya Yala, de nos jours, les luttes autour de la reproduction sont liées à celles pour la réappropriation de la terre, contre l’expropriation et l’extractivisme. Montanaro nous explique la notion spécifique de corps-territoire (relier les différents types de violences et d’oppressions qui touchent autant les corps féminins/dissidents que les territoires). Le mouvement latino-américain dénonce le pillage environnemental ainsi que l’accaparement des terres autochtones et paysannes.
L’autrice fait une cartographie des luttes féministes communautaires et indigènes et ainsi nous découvrons des communautés de femmes opprimées mais aussi rebelles (communauté Xinka, Mujeres Creando), du Guatemala ou de Bolivie, qui vivent dans la réciprocité et la complémentarité, en pratiquant la guérison grâce au corps collectif (acuerpamiento). Lutte pour l’IVG, joie militante, insubordination et écoféminisme.
J’ai trouvé les thématiques abordées dans cet essai très intéressantes et la pensée de Montanaro très juste mais l’écriture plutôt ardue… ce qui questionne sur l’accessibilité aux savoirs. Néanmoins, un essai de qualité, sérieux et pertinent dans ce domaine très masculin de la philosophie et une pensée à suivre !
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