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  • Théories féministes voyageuses
  • Théories féministes voyageuses

    Internationalisme et coalitions depuis les luttes latino-américaines

  • Mara Montanaro

  • Préface de Verónica Gago

  • 272 pages

  • Parution le 24 mai 2023

  • Format 12 x 17 cm

  • ISBN : 978-2-924834-42-8

  • Prix : 22.95 $

  • --- Format e-pub ---

  • ISBN : 978-2-924834-44-2

  • Prix : 15.99 $

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Violence coloniale et violence domestique, corps-territoire, extractivisme, grève, production, reproduction, travail des femmes, résistance, communs : autant d’enjeux pour la philosophie politique que Mara Montanaro analyse à la lumière des travaux de nombreuses théoriciennes féministes, notamment du Sud global. Dans ce livre qui se situe au confluent de l’ouvrage savant et de l’appel à la révolte, elle tisse des liens depuis les marxismes hétérodoxes italiens jusqu’aux éco­féminismes latino-­américains.

Comment ces « théories féministes voyageuses » ont-elles été transplantées, depuis l’espace de la réflexion, au sein de différents mouvements féministes ­latino-américains ? Comment déconstruire les modalités de connaissance eurocentrées et souligner par le même geste les limites d’un sujet féministe à prétention universelle ? Comment construire une cartographie des féminismes latino-américains pour envisager des luttes transnationales dans la multiplicité de leurs programmes théoriques et politiques ?

« On lira dans ces pages la quête d’une écriture féministe de la philosophie : généreuse en citations, donnant la parole aux autres, cherchant davantage à fédérer autour d’une série de problèmes qu’à revendiquer la marque d’autrice comme un signe de distinction. Faire de la philosophie féministe est une question de méthode, mais aussi une position politique. » Verónica Gago.

Cet ouvrage a paru en Europe aux éditions Divergences

Mara Montanaro est philosophe, militante et commissaire d’exposition. Elle est aussi directrice de programme au Collège international de philosophie et est notamment l’autrice de Françoise Collin. La révolution permanente d’une pensée discontinue (2016).

Dans cet essai philosophique féministe, Mara Montanaro nous présente, entre autre, l’internationalisme et les coalitions féministes, depuis les luttes latino-américaines, à Abya Yala. Elle fixe tout d’abord son paradigme, pour une philosophie féministe subversive et critique, qui remet en question l’universel de la tradition patriarcale de la philosophie. Elle rappelle également l’importance de se positionner.

L’autrice commence par élaborer autour du sujet politique féministe « Nous les femmes» et le paradoxe qu’il crée. En effet, il y a exigence politico-militante de parler avec ce «nous» mais en même temps, il faut faire attention à ne pas tomber dans l’essentialisme.

« S’il existe une expérience commune des femmes, ce serait celle de l’absence d’essence. »

Cela nous amène au trouble dans le genre (cf. Butler et Wittig) et à une critique de la binarité ainsi qu’au désir «queer». Les différences dans cette catégorie «femmes» que nous pouvons également percevoir grâce aux femmes subalternes du sud globale nous conduisent à conceptualiser les intersections des oppressions et à penser un féminisme décolonial. Créer des coalitions en vue d’objectifs concrets et nous unir est primordial. Ces mouvements sont intersectionnels, car les subjectivités féministes sont toujours croisées et multiples.

En Amérique latine, on peut noter des problématiques spécifiques comme l’occultation des conceptions précoloniales du genre, la déshumanisation des femmes colonisées ou encore les débats autours de l’existence du patriarcat dans les sociétés autochtones précolombiennes. Le but n’est pas d’effacer la différence coloniale entre les femmes mais de la penser, en une résistance qui refuse l’intégration. L’autrice nous montre ensuite comme est apparue la grève féministe de 2019 en Amérique latine et ses intrications avec le travail reproductif. Sur les pas de Segato et Federici, elle montre la guerre qui est faite contre le corps des femmes et les liens entre celle-ci et les violences institutionnelles. L’essai retrace la généalogie qui a engendré ce mouvement-là.

À Abya Yala, de nos jours, les luttes autour de la reproduction sont liées à celles pour la réappropriation de la terre, contre l’expropriation et l’extractivisme. Montanaro nous explique la notion spécifique de corps-territoire (relier les différents types de violences et d’oppressions qui touchent autant les corps féminins/dissidents que les territoires). Le mouvement latino-américain dénonce le pillage environnemental ainsi que l’accaparement des terres autochtones et paysannes.

L’autrice fait une cartographie des luttes féministes communautaires et indigènes et ainsi nous découvrons des communautés de femmes opprimées mais aussi rebelles (communauté Xinka, Mujeres Creando), du Guatemala ou de Bolivie, qui vivent dans la réciprocité et la complémentarité, en pratiquant la guérison grâce au corps collectif (acuerpamiento). Lutte pour l’IVG, joie militante, insubordination et écoféminisme.

J’ai trouvé les thématiques abordées dans cet essai très intéressantes et la pensée de Montanaro très juste mais l’écriture plutôt ardue… ce qui questionne sur l’accessibilité aux savoirs. Néanmoins, un essai de qualité, sérieux et pertinent dans ce domaine très masculin de la philosophie et une pensée à suivre !

[ Service presse / partenariat non rémunéré]

https://www.instagram.com/lecturefeministe

Recodifier le féminisme Lynda Dion

Pratiquer la philosophie, pour une féministe, relève du paradoxe : comment exercer une discipline qui nie l’existence même de la femme en tant qu’être pensant ? Et si la philosophie n’était qu’une (autre) idéologie qui assurerait la suprématie masculine ?

Mara Montanaro commence son essai Théories féministes voyageuses en levant le voile sur la résistance qui s’exerce contre le questionnement critique féministe en philosophie.

La posture que l’autrice adopte est celle d’un éveil nécessaire qui produit un « tremblement » face à l’universel et aux contenus sexistes perçus comme des faits incontestables. L’essayiste s’attaque ainsi à la déconstruction de la tradition philosophique, eurocentrique et patriarcale pour « repenser ses méthodes, ses objets conceptuels, [en mettant à jour] ses impensés ».

Sujet philosophant sexué

Le plus étonnant de ces « impensés » est la prétendue « universalité/ neutralité du sujet philosophique/ philosophant » : une idée aujourd’hui difficilement défendable, mais que

la tradition philosophique empêche de remettre en cause. La méthode féministe suggère au contraire qu’il faut se positionner philosophiquement et géographiquement pour éviter la neutralisation du point de vue et l’universalisation du savoir. L’approche de Montanaro n’est pas que féministe, elle est aussi décoloniale et matérialiste. L’autrice conçoit la philosophie non seulement comme une théorie pratique, mais aussi comme une pratique théorique, « une philosophie qui se sait matériellement située dans le monde réel ». Ainsi, la notion de « théorie voyageuse », présentée dans le titre et empruntée à l’intellectuel palestino-américain Edward W. Said, met en évidence la pluralité des féminismes. Dès lors, il devient impératif de « faire voyager » ces différentes théories en resituant les réflexions qui en sont à l’origine, et qui sont elles-mêmes nées d’expériences historiques et géographiques : « Je me propose donc de fissurer l’histoire linéaire et cumulative des féminismes à travers le repérage des discontinuités pour voir à travers ce geste que l’histoire ne peut pas être linéaire, et dans ce cadre raconter d’autres histoires féministes. »

Pour y arriver, Montanaro s’impose un ancrage géopolitique spécifique, celui des mouvements féministes latino- américains, lesquels ont créé – c’est son hypothèse – « de nouveaux modes de subjectivation, un véritable champ de lutte internationale, en visant à la fois une révolution libidinale et économique et en tissant des liens avec les autres mouvements sociaux, notamment les mouvements anti-racistes et écologistes ».

La grève féministe

Le parcours proposé par Montanaro est à la fois vaste et précis. Le champ des luttes des féministes latino- américaines laisse entrevoir une transversalité politique qui « construit un véritable mouvement commun, un soulèvement collectif qui lutte contre la violence systémique du patriarcat à la fois capitaliste, racial et colonial sur les femmes et sur tous les corps féminins et dissidents ». La question du féminisme est posée d’une nouvelle façon, plus subjectivement radicale, et elle incite au ralliement. La grève, par exemple, fait éclater la distinction entre luttes syndicale et politique. Elle devient générale « parce que féministe et ancrée dans une condition commune, matérielle et partagée : notre précarité ». Le concept d’intersectionnalité est redéfini, l’accent est déplacé : la revendication passe de la simple reconnaissance des identités à l’importance de nommer la multiplicité des expériences de l’oppression et de l’exploitation. Le système qui a favorisé et maintenu jusqu’ici la domination du corps physique, social et sexuel des femmes est également celui sur lequel repose le monde : le patriarcat capitaliste. Ce concept démontre à quel point « le capitalisme et la division internationale du travail ne peuvent fonctionner sans le patriarcat, car le processus sans fin d’accumulation du capital repose sur l’exploitation du travail gratuit des femmes ». Cette dernière idée donne lieu à une réinterprétation ou à une relecture du marxisme (forcément « situé ») qui mérite certainement qu’on s’y attarde. L’ouvrage de Montanaro ouvre encore ici une brèche dans la pensée hégémonique occidentale.

Impossible de conclure cette trop brève critique sans remercier les éditions de la rue Dorion, qui ont rendu possible la lecture de ces Théories féministes voyageuses, rassemblées par Mara Montanaro. Les luttes des femmes latino-américaines constituent une véritable inspiration, car elles recodifient, pour ainsi dire, le féminisme : « Comme le dirait bell hooks, il s’agit d’un féminisme révolutionnaire qui a comme objectif la transformation radicale de la société, le renversement du système patriarcal et non une modification de ce dernier. » Il me semble que notre monde a plus que jamais besoin de cette philosophie.

Mara Montanaro Théories féministes voyageuses Préface de Vérónica Gago Montréal Éditions de la rue Dorion 2023, 267 p. 22,95 $

Pas facile d’être féministe. Mais féministe et philosophe, c’est un enfer. Dès ses origines, la philosophie occidentale est un « boys club » où apparaissent les premiers rudiments de la domination masculine. Partant de ce postulat, la philosophe Mara Montanaro invite à considérer la « philosophie féministe » comme un éveil, un bousculement du corpus traditionnel, en relevant ce qu’elle pose comme ses « impensés » : la supposée neutralité — c’est-à-dire, sa posture non sexuée — du sujet philosophant, son positionnement eurocentrique… Pour philosopher, encore faudrait-il s’ancrer dans le « monde réel », puisque les concepts, loin d’être porteurs d’universalité, feraient écho à des « temps » et des « corps ». En empruntant à Edward Saïd celui de « théories voyageuses », l’auteure s’appuie sur les particularités « des mouvements féministes latino-américains » et les insère dans une lutte féministe décoloniale et globale, vue comme une « marée qui inonde les rues de milliers de villes ». Cet essai entend donner à comprendre que « réécrire un passé » où les femmes peuvent s’inscrire est d’une extrême actualité.

Irène Sulmont

https://www.monde-diplomatique.fr/2024/06/SULMONT/67107

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