par Ismaël Houdassine le 26 février 2023
La militante écologiste hondurienne Berta Cáceres a été de tous les combats avant d’être froidement abattue par balle à 44 ans, chez elle, dans la nuit du 2 au 3 mars 2016. Sa disparition portant la signature des escadrons de la mort est survenue au lendemain de la fin des audiences du procès contre un homme d’affaires accusé d’avoir commandité son assassinat. Le livre Qui a tué Berta Cáceres ? de la journaliste Nina Lakhani revient sur cette incroyable saga judiciaire dont les dessous révèlent un pays d’Amérique centrale gangrené par la corruption des élites et les cartels de la drogue.
Malgré son titre funeste, le livre n’est pas que le récit de la mort de Berta Cáceres. Il est surtout un véritable hommage au parcours de la défenseure des droits de la personne et de l’environnement. Figure emblématique du militantisme environnemental et social au Honduras, Berta Cáceresétait membre de la communauté indigène de Lenca, dans l’ouest du pays. Elle s’était fait connaître pour son combat acharné contre le projet de construction controversé d’un barrage hydroélectrique par l’entreprise Desa sur le territoire autochtone. À la tête du Conseil civique COPINH, une organisation en soutien aux peuples autochtones, elle avait même tenté de paralyser le chantier en organisant des protestations. Elle sera plus tard honorée par le prix Goldman pour l’environnement, et ce, un an avant son assassinat.
Dès les premières pages, le lecteur est littéralement emporté par la puissance d’une intrigue en forme d’enquête aux mille ramifications qui se tient du début à la fin. Il faut dire que la Britannique Nina Lakhani est une journaliste de terrain d’expérience spécialisée dans les questions relatives aux droits de la personne au Mexique et en Amérique centrale. Elle est d’ailleurs la seule étrangère à avoir assisté à l’entièreté du procès des assassins de Berta Cáceres.
Notoriété internationale
À l’aide d’une multitude d’entrevues fouillées et de témoignages précis, l’enquêtrice parvient à remonter le fil des événements. On apprend que la militante écologiste — habitée par les mouvements autochtones des années 1990 comme la révolte zapatiste au Chiapas — craignait constamment pour sa vie alors qu’elle jouissait d’une notoriété dépassant les frontières de son pays. Elle a pourtant continué sa lutte sans relâche la menant aux quatre coins du monde, jusqu’à Québec en 2001, où elle n’avait pas hésité à prendre part à une manifestation populaire devant l’Assemblée nationale pendant le Sommet des Amériques.
La disparition de Berta Cáceres s’ajoute à une liste interminable de meurtres de voix démocratiques et de gauche issues de la société civile et autochtone sud-américaine, et ce, depuis des décennies. « L’Amérique latine reste la région la plus dangereuse au monde pour défendre les terres et les rivières contre les mégaprojets tels que les mines, les barrages, l’exploitation forestière et l’industrie agroalimentaire », écrit la journaliste, qui avance le chiffre de l’ONG Global Witness d’au moins 633 militants environnementaux assassinés depuis mars 2016. Rien qu’au Honduras, c’est 48 personnes qui ont disparu durant la même période. Comme Berta Cáceres, elles étaient toutes engagées contre l’accaparement des ressources et des territoires dont sont toujours victimes les populations autochtones et les travailleurs ruraux.
Qui a tué Berta Cáceres ?
★★★
Nina Lakhani, traduit de l’anglais par Monica Émond et Claude Rioux, Éditions de la rue Dorion, Montréal, 2023, 408 pages