Recension dans la Revue canadienne de criminologie et de justice pénale (Ottawa et Toronto) et la Revue de science criminelle et de droit pénal comparé (Paris) dans leurs numéros d’avril-juin 2024
De fait, le livre de Kaba est une somme de textes et d’entrevues qu’elle a commis au cours des dix dernières années dans lesquels elle nous fait part de ses expériences et de ses réflexions sur le terrain afin d’aider les personnes noires, des femmes essentiellement, victimes de discrimination et d’abus de la part du système de justice criminel aux États-Unis.
Conjuguées à son empathie, ses compétences sont mises au service des personnes dans la perspective qu’elles puissent se regrouper afin de se soutenir les unes les autres, et de mettre en action des stratégies relatives à leurs revendications, le but ultime étant « les solutions à développer pour prévenir les préjudices futurs » (p. 211).
Sa réflexion sur l’abolitionnisme est nuancée et « repose sur une vision politique, une analyse structurelle de l’oppression et une stratégie d’organisation pratique » (p. 33). Malheureusement, cette réflexion n’est pas développée, ni approfondie, laissant le lecteur sur sa faim. En effet, dans la première partie, elle soulève plusieurs questions de fond et met en évidence des constatations comme celle-ci : « si les responsables politiques reconnaissaient que la plupart des préjudices considérés comme des infractions prennent racine dans les inégalités sociales et économiques, on s’attendrait à ce qu’ils/elles s’attaquent à ces inégalités, ce que la plupart refusent de faire » (p. 60).
Mais une fois exprimé certaines réalités, les textes se limitent à survoler des exemples sans que ne se dégage des modèles d’organisation et un fil conducteur pour la lutte. Cela tient probablement au fait que Kaba « ne ressen(t) pas d’injonction à fournir des réponses, mais (qu’elle a) le sentiment qu’il est de (s)on devoir d’inciter les gens à faire plus de choses » selon leur sentiment, tout en étant conscient que « l’échec constitue la norme, et que c’est un moyen fantastique à notre disposition de tirer des leçons qui nous aideront » (p. 230).
Évidemment, l’approche abolitionniste actuelle se vit dans un contexte social et politique qui ne se compare pas avec celle des années 1960 et 1970. En effet, les rapports de force ne mettent pas en opposition les mêmes entités économiques et politiques, la mondialisation et les technologies ayant perturbé les moyens de résistance face au désengagement de l’État responsable de la précarité grandissante au sein des populations vulnérables.
Cette situation pourrait expliquer la nécessité d’agir au niveau local, là il est encore possible d’avoir un éventuel impact, et de rendre plus difficile de porter les revendications abolitionnistes au sommet de l’État.
Jean-Claude Bernheim, expert en criminologie, Québec