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Les éditions de la rue Dorion

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  • La Mohawk Warrior Society
  • La Mohawk Warrior Society

    Manuel de souveraineté autochtone

  • Œuvres choisies de Louis Karoniaktajeh Hall

  • Édition en français traduite et établie par Philippe Blouin, Ségolène Guinard, Claude Rioux et Michel Valensi

  • 464 pages

  • Parution le 27 septembre 2022

  • Format 20 x 17 cm

  • ISBN : 978-2-924834-31-2

  • Prix : 34.95 $

  • --- Format e-pub ---

  • ISBN : 978-2-924834-40-4

  • Prix : 20.99 $

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Somme exceptionnelle reposant sur un travail de longue haleine, cet ouvrage réunit pour la première fois une riche documentation qui renouvelle notre regard sur la société guerrière kanien’kehá:ka.

Articulé autour de l’oeuvre écrite et picturale de Louis Karoniaktajeh Hall (1918-1993) – militant traditionaliste, artiste visuel et expert de la Grande loi de la paix (Kaianere’kó:wa) –, l’ouvrage présente dans une traduction française inédite une sélection de ses écrits les plus importants et raconte les origines de son célèbre drapeau de l’unité.

Outre des témoignages contribuant à une histoire orale de la Confédération iroquoise, on trouvera réunis dans ce volume une foule de textes fondateurs qui permettent de comprendre cinq siècles de résistance mohawk. L’ensemble est accompagné d’un appareil éditorial substantiel, incluant une chronologie historique, un glossaire de concepts mohawks et une carte des territoires rotinonhsiónni en langue autochtone, fruits de six années de dialogue entre l’équipe éditoriale et des figures fondatrices de la Warrior Society.

« Ces textes sont un appel à la résistance psychologique. Ils ne sont pas seulement là pour être lus : ce sont des manuels faits pour être appliqués, défendus, criés, chantés, à l’instar des peintures et les affiches de Louis Karoniaktajeh Hall – dont les plus emblématiques sont reproduites dans ce volume – conçues pour qu’on les accroche, les placarde et les distribue aux quatre coins de l’Île de la Tortue. »

Louis Karoniaktajeh Hall (1918–1993) était un écrivain et peintre kanien’kehá:ka. Homme à tout faire, Karoniaktajeh a travaillé comme boucher, charpentier et maçon. Nommé secrétaire du feu du conseil de Ganienkeh, il est devenuun éminent défenseur de la souveraineté autochtone et a contribué à reformer la Rotisken’rhakéhte (Warrior Society). Parmi ses œuvres d’art les plus célèbres, on trouve le drapeau de l’Unité. Il est l’auteur du Manuel du Guerrier (1979) et de Reconstruire la Confédération Iroquoise (1980).

Philippe Blouin écrit, traduit et étudie l’anthropologie politique et la philosophie à Tionitiohtià:kon (Montréal). Sa recherche doctorale actuelle à l’Université McGill vise à comprendre et à partager les enseignements du eiohá:te (wampum à deux rangs) pour construire des alliances décoloniales. Ses travaux ont été publiés dans Liaisons et Stasis. Il a également écrit une postface à Réflexions sur la violence de George Sorel (Entremonde, 2013). Aux Éditions de la rue Dorion, il a fait paraître deux traductions : Capitalisme carcéral (Jackie Wang, 2020) et Radiations et révolution (Sabu Kohso, 2021).

Un « Manuel » qui retrace l’histoire de l’activisme de cette nation amérindienne et résulte d’un exemplaire travail de médiation culturelle.

Par Marie-Hélène Fraïssé (collaboratrice du « Monde des livres ») Le 17 mars 2023

Sans l’appui des Mohawk, la plus combative des « six nations iroquoises », les Anglais n’auraient peut-être pas gagné la guerre qui conduisit au traité de Paris (1763), moment-clé dont découle la suprématie anglo-saxonne sur l’Amérique du Nord. Les Mohawk n’en ont pas moins connu, au Canada comme aux Etats-Unis, le même sort que l’ensemble des peuples amérindiens : traités trahis, déplacements forcés, abus de toutes sortes. Leur esprit de résistance a cependant perduré. Leur langue reste pratiquée au quotidien ainsi que dans les instances de la Confédération iroquoise (Rotinonhsion:ni en mohawk). Cette dernière œuvre parallèlement aux « conseils de bande » tribaux imposés par les pouvoirs fédéraux et applique la traditionnelle « Grande Loi qui lie » iroquoise (Kaianere’ko:wa), vieille de quatre siècles, privilégiant le consensus, fût-ce au prix d’interminables palabres. Les femmes, notamment les « Mères de clan », y détiennent un fort pouvoir décisionnaire. A bien des égards, cette loi intertribale reflète la « société contre l’Etat » décrite par Pierre Clastres (1934-1977). Philippe Blouin, jeune anthropologue québécois résidant à Montréal, non loin de la communauté de Kahnawà:ke (qui figure sur la plupart des cartes sous son appellation « coloniale » de Caughnawaga), a lié son existence à celle des Mohawk : « J’étais fasciné de rencontrer à vingt minutes de chez moi des gens qui avaient de telles histoires à raconter », confie-t-il au « Monde des livres ». Il s’est attelé pendant six ans à la coordination de La Mohawk Warrior Society. Manuel pour la souveraineté et la résistance, consacré à cette fraternité informelle apparue au début des années 1970 lors de l’émergence du Red Power et des luttes amérindiennes sur tout le continent. Ce passionnant ouvrage collectif retrace l’histoire de l’activisme mohawk à travers une série d’archives inédites en français et de témoignages de militants de diverses générations, au terme d’un long travail de concertation, selon le protocole iroquois.

Les solidarités intertribales sont toujours vives

Les Mohawk Warriors sont le fer de lance de la tradition mohawk. Ils observent au quotidien l’éthique du « guerrier » (courage, responsabilité, autodiscipline) et ne se manifestent publiquement qu’à l’occasion de certaines crises sociales ou politiques. Récemment, ils ont participé aux luttes menées contre divers projets d’oléoducs et de gazoducs affectant des territoires autochtones, et démontré que les solidarités intertribales sont toujours vives. Tekarontakeh (Paul Delaronde), membre de la Society dès ses débuts, toujours sur la brèche à 83 ans, s’emploie, dans le livre, à éliminer certains clichés appliqués de l’extérieur aux Warriors : « Beaucoup de gens se présentent comme des guerriers aujourd’hui, mais ils ne savent pas ce que ça signifie. (…) Etre un guerrier, c’est assumer la responsabilité de sa famille et de la Terre. Quand les gens disent : “Je suis prêt à mourir !”, ma réaction est de leur répondre que, dans ce cas, nous n’avons pas besoin d’eux… Nous avons besoin de gens qui veulent vivre et sont prêts à assumer leurs responsabilités ! » Kahentinetha Rotiskarewake, directrice du site Mohawk Nation News, elle aussi en première ligne depuis les fameuses luttes des Mohawk (occupation du pont-frontière d’Akwesasne en 1968, crise d’Oka en 1990…), a veillé activement à l’élaboration de l’ouvrage. Jointe, au Québec, par « Le Monde des livres », elle complète le portrait-type, prioritairement pacifique, des Warriors : « Leur nom en mohawk, Rotisken’rakéhte, veut dire “porteur de la Terre”. Ils protègent les femmes et les enfants. Ils entretiennent le feu et doivent trouver le moyen le plus sensé de le faire en s’inspirant de la nature. On les a décrits comme agressifs, brutaux, mais ils ne tuent personne. Ils visent à garder la paix, l’harmonie, l’énergie… »

Le père fondateur des Warriors

Ce n’est qu’en temps de crise qu’ils se manifestent « militairement ». « Parmi les jeunes, poursuit-elle, les Warriors ne sont pas précisément recensés. Ce sont seulement des hommes qui font leur devoir. Ils sont comme le Soleil qui chauffe la Terre. Chaque chose, chaque être compte, nourrit les autres êtres, participe de l’harmonie du vivant. Mais, comme nous sommes désormais en état de survie, il nous faut toutes et tous devenir “warriors” en rassemblant nos forces. » Kahentinetha Rotiskarewake a œuvré avec d’autant plus de cœur au sein de l’équipe éditoriale qu’elle fut une proche de Karoniaktajeh, alias Louis Hall (1918-1993), père fondateur des Warriors, orateur de talent et artiste au graphisme efficace. « Il fait partie de ceux qui nous ont rappelé, à nous, les plus jeunes, qui nous étions, ce qu’était notre vraie histoire, d’une manière qui nous était accessible. En un temps où l’école nous enseignait que les Mohawk étaient vicieux, brutaux, et où, quand nous nous levions pour contester, nous étions punis très durement. » Mener à bien ce Manuel impliquait un respect scrupuleux des consignes du collectif mohawk. Les traductions ont été l’objet de longs débats, la langue mohawk, de tradition orale, exprimant des nuances sémantiques à travers la gestuelle ou la tonalité. Un exemplaire travail de médiation culturelle, qui offre au lecteur, au prix de quelques efforts d’éloignement de ses propres représentations, un vrai voyage intérieur en terre indienne.

Critique : Le manuel de survie d’un peuple

Commentles Mohawk (30 000 personnes environ) ont-ils réussi à conserver leur langue, leurs coutumes, leur fierté, là où tant d’autres nations autochtones ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes ? Centré sur l’histoire de la Mohawk Warrior Society, qui réactive des valeurs ancestrales d’autodéfense, ce recueil de textes est un plaidoyer pour les stratégies de survie collective des Mohawk en tant que peuple souverain. Le cœur du livre est constitué des textes du père fondateur des Warriors, Louis Karoniak-tajeh Hall, qui préconisait moins la violence armée (tout en la reconnaissant incontournable en certaines occasions) qu’une discipline intérieure personnelle, étroitement liée aux traditions mohawk au don de soi, à l’engagement désintéressé au service des siens. Cette anthologie inclut un copieux dossier documentaire où se trouvent notamment une chronologie détaillée des événements, des premiers contacts aux luttes les plus actuelles des Mohawk, ainsi qu’un « glossaire conceptuel » permettant de comprendre comment ils définissent leur éthique de manière singulière et souvent métapho¬rique, en relation avec la nature. Non sans une forme d’humour glacial et déterminé. « Nous ne voulons pas de regrets », disent les Mohawk, imperturbables, face au train d’excuses formulées en haut lieu pour les abus commis à leur encontre. « Regret et repentance sont des mots qui n’existent pas dans notre langue. Chez nous quiconque a commis un acte répréhensible est simplement tenu de le réparer. »

Extrait

« Louis Karonaktajeh Hall : “Une guerre psychologique continuelle est menée contre les Autochtones d’Amérique depuis le début de l’occupation de leurs terres par les Européens, et elle est tout aussi meurtrière que celle des armes. C’est une guerre contre l’esprit du peuple, dont les pertes sont l’alcoolisme, la toxicomanie et le suicide (…). Les Européens ont tout fait pour inculquer un complexe d’infériorité aux Autochtones, détruisant leur personnalité. L’oppression est un acte de guerre contre le peuple. Légaliser l’extinction des Indiens d’Amérique comme peuple distinct par le biais de leur assimilation constitue un acte d’agression. (…) La Warrior Society est entraînée pour faire face à toutes les urgences, que ce soit une invasion ou un simple accouchement.” » – La Mohawk Warrior Society, pages 243-244

Marie-Hélène Fraïssé

« La Mohawk Warrior Society. Manuel pour la souveraineté et la résistance, comprenant des œuvres choisies de Louis Karoniaktajeh Hall » (The Mohawk Warrior Society. A Handbook on Sovereignty and Survival), édité et traduit de l’anglais (Canada) sous la direction de Philippe Blouin, L’Eclat, « Premier secours », 318 p., 29 € / Éditions de la rue Dorion, 464 p. 34,95 $.

La Mohawk Warrior Society publie ces jours-ci son manuel de souveraineté autochtone. L’organisation militante controversée, jugée radicale par plusieurs, mais qui se perçoit plutôt comme résistante, et dont les membres sont surnommés les « Warriors », s’est notamment fait connaître au grand jour durant la crise d’Oka, en 1990.

Dès le premier coup d’oeil, le lecteur averti reconnaîtra l’image qui s’étend sur toute la page couverture, le fameux drapeau iroquois, rouge et or avec au milieu le visage d’un Autochtone avec une plume d’aigle plantée sur la tête, brandi plusieurs fois durant le conflit à Kanesatake. Le livre s’articule d’ailleurs autour de Louis Karoniaktajeh Hall (1918-1993), militant traditionaliste, écrivain et artiste, qui a imaginé la bannière en question, surnommée le « drapeau de l’unité », et devenue aujourd’hui un symbole incontournable des combats autochtones en Amérique du Nord.

En plus d’une sélection d’oeuvres d’art signées par Karoniaktajeh Hall, figure complexe et emblématique de la Warrior Society, le livre inclut pour la première fois en français plusieurs de ses écrits jugés fondamentaux par le mouvement, comme Reconstruire la confédération iroquoise (1980) et le Manuel du guerrier (1979). Ce dernier est un captivant pamphlet historique bourré d’enseignements et de réflexions sur la condition de vie des Premiers Peuples au Canada.

Mais loin de la proposition polémiste remuant les douleurs du passé, le recueil — fascinant et fourni en détails — se déploie davantage comme une anthologie ayant pour objectif le partage d’une tradition orale souvent inédite ou rarement mise à la disposition des lecteurs. Par le biais d’une riche documentation, elle raconte ici les origines de la Warrior Society et son influence sur les luttes politiques.

Ainsi, le livre s’ouvre sur les témoignages de quatre de ses membres fondateurs : Tekarontakeh, Kakwirakeron, Kanasaraken et Ateronhiatakon. Ces activistes et gardiens du savoir traditionnel ont été parmi les premiers à véritablement organiser des initiatives médiatisées (rassemblements, blocage des routes et des ponts) afin d’affirmer une autorité autochtone sur les terres traditionnelles de la nation mohawk aussi bien aux États-Unis, dans l’État de New York, qu’au Québec.

Rappelons que le mouvement voit le jour dans les années 1960, époque des « grands réveils citoyens » qui ont vu naître divers groupes d’émancipation sur le continent nord-américain, l’American Indian Movement (AIM) et les Black Panthers en tête.

L’un des grands intérêts de l’ouvrage est qu’il donne la parole à la résistance mohawk sur près de cinq siècles. L’essai est un patchwork de styles et de genres littéraires mêlant entretiens, manifestes, contes, réflexions philosophiques et récits historiques. Une chronologie de l’histoire mohawk, un chapitre sur la toponymie et un glossaire sur divers concepts en langue autochtone complètent le volume.

La Mohawk Warrior Society

★★★

Oeuvres choisies de Louis Karoniaktajeh Hall, Éditions de la rue Dorion, Montréal, 2022, 464 pages. https://www.ledevoir.com/lire/766023/essai-la-mohawk-warrior-society-manuel-de-souverainete-autochtone-resistance-mohawk

En rattrapage sur le site de Radio-Canada

https://ici.radio-canada.ca/util/postier/suggerer-go.asp?nID=4923468

Accéder à la publication originale sur le site d'Espaces autochtones (Radio-Canada) : https://ici.radio-canada.ca/espaces-autochtones/1909199/mohawk-kahnawake-cache-derriere-drapeau-warriors

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Dans plusieurs rassemblements autochtones est brandi le fameux drapeau de la Mohawk Warrior Society, dont les membres sont appelés « warriors ». C'est un drapeau qui a marqué le Québec, en particulier en 1990 lors de la crise d'Oka. Pour expliquer le sens de ce drapeau, le rôle de la Mohawk Warrior Society et la vision de ses membres, un livre sera disponible à compter du 27 septembre en anglais et en français.

Ils étaient censés être trois lorsqu'Espaces autochtones se sont rendus à Kahnawake pour en parler. Finalement, ils étaient sept membres de la Mohawk Warrior Society, tous réunis autour de deux grandes figures de la résistance mohawk dont les récits figurent dans l'ouvrage : Tekarontakeh et Kahentinetha.

Le premier est un gardien de savoirs ancestraux et la deuxième est une militante de longue date, aujourd’hui responsable du site web Mohawk Nation News.

C’est à eux qu’il faut parler pour comprendre ce que contient La Mohawk Warrior Society. Manuel de souveraineté autochtone, un livre qui sera disponible dans les librairies québécoises le 27 septembre.

Des Mohawks de Kanesatake ont marché à l'été 2015 pour souligner les 25 ans de la crise d'Oka, un épisode qui a marqué les relations entre les Autochtones et les non-Autochtones au Québec et au Canada.PHOTO : LA PRESSE CANADIENNE / RYAN REMIORZ

Ce document réunit une importante documentation sur la société guerrière kanien’kehá:ka, dont tout le monde connaît le drapeau réalisé par Louis Karoniaktajeh Hall, cette œuvre qui représente un Autochtone, englobé par un soleil sur fond rouge, plume d’aigle dressée sur la tête.

Philippe Blouin, anthropologue et coordonnateur du projet, affirme que jusqu’à maintenant, beaucoup de ce qui a été écrit sur la Mohawk Warrior Society est de la propagande, comme quoi tous ses membres sont des terroristes.

Ce symbole du wampum de Hiawatha qui représente la confédération iroquoise agace Tekarontakeh, qui estime que nous sommes tous des êtres humains et que ce genre de regroupement devrait compter touts les humains.PHOTO : RADIO-CANADA / DELPHINE JUNG

Les Mohawks réunis dans une petite maison le long de la route 138 disent plutôt qu'ils sont des porteurs de la Terre.

Concrètement, cela signifie que les hommes, donc les porteurs de la Terre, doivent mettre en œuvre les décisions des femmes pour parvenir à une paix globale.

Cet ouvrage de 400 pages rassemble ainsi des témoignages et des écrits qui racontent l’histoire orale des Mohawks et leur façon de penser le monde. Il permet aussi de comprendre cinq siècles de résistance mohawk. Ce travail de longue haleine a pris environ six ans pour les porteurs du projet.

Une carte de l'île de Montréal avec une toponymie mohawk datant de 1880.PHOTO : VILLE DE MONTRÉAL

Bien plus que des mots

Le premier défi qu'ont dû relever les auteurs a été la traduction d’un récit oral en un texte en français. Dans beaucoup de langues autochtones, un mot correspond souvent à une image, un concept, qu’il est difficile de réduire à un seul mot.

Quand quelqu’un parle, tu vois ce dont il parle, tu ne fais pas que l’entendre. C’est une langue très descriptive dans laquelle il n’y a pas de place pour la mauvaise compréhension. C’est pourquoi c’est si important pour nous de raconter notre histoire, explique Tekarontakeh, bandana bien serré autour de son front.

Tekarontakeh croit que les gens doivent désormais s'intéresser à ce que les Mohawks « ont dans la tête ».PHOTO : RADIO-CANADA / DELPHINE JUNG

La traduction, selon lui, détruit le sens des mots. Conséquence : Les gens interprètent notre histoire et essayent de faire des parallèles entre leur culture [celle des non-Autochtones, NDLR] et la nôtre. Mais notre vision du monde est totalement différente, explique-t-il.

Kahentinetha ajoute qu’il a fallu la collaboration d'un groupe de six à dix personnes pour que les Mohawks se mettent d’accord sur la traduction de tel ou tel mot, ce qui dépendait, selon elle, du ton sur lequel était dit le mot, de la façon dont on le voyait.

Kahentinetha est une aînée qui a participé à de nombreux combats des Mohawks.PHOTO : RADIO-CANADA / DELPHINE JUNG

L’exemple le plus frappant des problèmes que peuvent causer les traductions s’illustre avec un mot : kaianere’kó:wa.

Souvent traduit par ''la grande loi de la paix'', ce mot a été considéré comme la définition d’une constitution dont se seraient dotés les Iroquois, expliquent les deux Mohawks.

Pour Kahentinetha et Tekarontakeh, il s’agit plutôt d’un état d’être, d’une relation avec la nature qui ne peut pas être enfermée dans une quelconque codification juridique.

Il en est de même pour le terme anglais warrior, qui a une connotation bien différente de celle du mot employé en kanien'kéha (langue mohawk), qui est rotisken’rakéhte et qui veut dire porteur de la Terre.

L’idée de ce recueil consiste donc à expliquer aux lecteurs qu’il y a une formule pour retrouver la paix.

Cependant, qu’on ne parle pas de réconciliation aux Mohawks.

Les Mohawks ont souvent soutenu les Autochtones de tout le Canada dans leurs combats.PHOTO : CBC/DAN TAEKEMA

Ce n’est pas nous qui avons demandé une réconciliation, car nous n’avons jamais rien fait de mal. Nous n’avons jamais été les agresseurs, on a toujours partagé, explique Tekarontakeh en précisant que les gens le comprendront en lisant le livre.

Comptent-ils sur les jeunes? Ils vont dans la bonne direction, répondent-ils.

On leur a mis dans la tête que pour revenir à leur culture, ils devaient porter des mocassins et aller vivre sous une tente dans le bois, mais ce n’est pas comme ça que cela devrait se faire. On parle plutôt de développer une économie pour notre communauté qui ne fera pas de mal à l’environnement, par exemple, et je crois que les jeunes trouveront une solution, précise Tekarontakeh.

Les Mohawks veulent avant tout que ce livre permette aux lecteurs de s’ouvrir à une autre manière de voir le monde et, surtout, qu'il leur permette de comprendre que les Mohawks ne détestent pas les gens mais plutôt ce qui a été fait aux Autochtones au cours de quelques centaines d’années.

Lire la publication originale : https://www.revue-ouvrage.org/mohawk-warrior-society/

La Mohawk Warrior Society: Manuel de souveraineté autochtone (extrait) Par TEKARONTAKEH Paul Delaronde Publié le 10 octobre 2022

Ce fragment de l’entretien avec Tekarontakeh Paul Delaronde est tiré du livre La Mohawk Warrior Society. Manuel de souveraineté autochtone. Tekarontakeh est un Kanien’kehá:ka du clan du Loup. Cet érudit et gardien de savoirs ancestraux a joué un rôle de premier plan dans la ranimation du feu des Rotihsken’rakéhte’1 (guerriers mohawks) au début des années 1970. À la demande de la revue Ouvrage, l’équipe éditoriale a choisi cet extrait pour son ton railleur bien représentatif de l’esprit qui anime le livre. Tekarontakeh, en plus de raconter un pan de l’émergence de la société guerrière – l’origine de son écusson – dont la symbolique apparaît extrêmement importante, montre la richesse d’une histoire transmise oralement depuis des siècles chez les Kanien’kehá:ka, une histoire complètement ignorée par la société coloniale.

Faire revivre les Rotihsken’rakéhte’

Dans le passé, si quelqu’un avait besoin de construire une maison, une grange ou n’importe quoi, une troupe de chanteurs annonçait un peu partout qu’on avait besoin d’aide pour construire une ferme, une maison ou pour une corvée de foins. Cette troupe accompagnait le travail avec ses chansons, on s’y rendait pour les écouter. Les gens apportaient du bois, des clous, des outils, des fenêtres et des portes, et aidaient à construire la maison. Ils préparaient ensuite un grand repas, les chants retentissaient et tout le monde dansait et s’amusait. Les troupes de chant étaient bien connues pour ça. Parfois, il y avait différentes troupes dans un même événement. Un groupe apportait ses chansons, un autre apportait les siennes, et ils se les partageaient. Les petits enfants apprenaient les couplets des différentes chansons, et finissaient par créer leur propre troupe. À la fin des années 1960, nous avons formé un groupe de chant avec une poignée d’amis. Et puis nous avons décidé que nous pourrions raviver le feu du conseil des hommes, les Rotihsken’rakéhte’. Nous sommes allés devant le conseil traditionnel de Kahnawà:ke pour leur demander s’ils voulaient bien approuver et sanctionner notre décision de recréer les Rotihsken’rakéhte’. Un roiá:ner nous a répondu : « Non. » Nous lui avons demandé « Pourquoi pas ? » Il a répondu : « Nous n’en avons pas l’autorité. La création vous a déjà donné son approbation. C’est dans la Kaianere’kó:wa. C’est votre responsabilité, c’est votre devoir de le faire. Vous n’avez pas besoin de notre accord. » Alors nous l’avons fait : nous avons ravivé le feu du conseil des hommes. Nous avons commencé à voyager dans les autres communautés pour les encourager à raviver leurs feux locaux et à reconstruire notre peuple. Notre élan prenait sans cesse de l’ampleur. Nous n’étions que sept à l’époque. Nous avons demandé à Karoniaktajeh, Louis Hall, l’artiste qui avait fait un emblème pour notre groupe de chant, de nous dessiner un nouveau symbole pour les Rotihsken’rakéhte’. Ce qu’il a fait était magnifique. C’est l’emblème qui a fini par se retrouver sur le drapeau de l’unité tel qu’on le voit aujourd’hui. Au départ, Louis Hall ne faisait pas partie de la maison longue. Il était initialement un fervent catholique qui se destinait à la prêtrise. Un jour, il est tombé sur des passages de la Bible qui l’ont poussé à remettre en question certaines choses. En poursuivant ses recherches, il a découvert toutes les contradictions dans les enseignements chrétiens. Comme chrétien, il avait l’habitude de se disputer avec les gens de la maison longue, mais il a commencé à s’intéresser de plus en plus à la Kaianere’kó:wa. Louis et les hommes de sa génération, comme Frank Natawe, Roy Montour et Stanley Myiow, étaient très intelligents et instruits. Ils parlaient tous couramment à la fois notre langue et l’anglais, et Frank parlait même français. Ils s’asseyaient autour d’une table et discutaient de la Kaianere’kó:wa en buvant de la bière. Puis ils ont commencé à fréquenter la maison longue. Ils écoutaient, observaient et regardaient, jusqu’à ce que la maison longue finisse par les réintégrer dans la Confédération. Leur arrivée a donné un formidable élan aux gens de la maison longue. Ces hommes savaient écrire, parler, enseigner, et ils apprenaient rapidement. Ils connaissaient l’histoire, et pas seulement la nôtre, mais aussi l’histoire chrétienne et l’histoire mondiale. J’étais assis dans la maison de Louis quand des cardinaux ou évêques venaient de Montréal pour essayer de débattre avec lui. Je l’ai vu débattre avec des presbytériens, des méthodistes, des luthériens. Personne ne pouvait rivaliser avec lui dans un débat, c’était incroyable ! Ils finissaient tous par abandonner avec la queue entre les jambes parce qu’ils n’arrivaient pas à le suivre. Il en savait plus qu’eux sur leur propre religion. En nous remettant notre blason, Karoniaktajeh nous a expliqué ses idées sur la guerre psychologique. Il nous a raconté l’histoire de la bataille des plaines d’Abraham près de la ville de Québec, où les Français ont été vaincus. Ce ne sont pas les Britanniques qui les ont vaincus, mais bien les Iroquois. En réalité, les Français se sont vaincus eux-mêmes. Tous ces jeunes soldats qui avaient grandi en France et à qui on avait toujours dit que les Iroquois étaient des suppôts de Satan et des croque-mitaines, tous ces enfants avaient grandi dans la peur des Iroquois. Et maintenant ils étaient de jeunes soldats envoyés ici, et ils n’avaient jamais vu d’Iroquois, sauf dans leurs pires cauchemars. Au cours de cette bataille, les Français étaient plus nombreux que les Britanniques et ils pouvaient les vaincre. Quand ça a commencé, le général français Montcalm s’est jeté sur le général britannique Wolfe et ses soldats. Il ne savait pas qu’il y avait des centaines de soldats iroquois parmi les Britanniques. Ils se sont avancés en marchant stupidement les uns vers les autres en tirant leur première volée de balles. Lorsque les lignes britanniques se sont ouvertes, des centaines de guerriers iroquois surgirent et se précipitèrent sur les soldats français en poussant des cris de guerre. Les soldats français étaient pétrifiés, ils faisaient dans leur froc et imploraient leur mère. « Maman ! Maman ! 2 » Le diable en personne était à leurs trousses. Ils avaient si peur qu’ils lâchèrent leurs fusils et renoncèrent à la bataille. Nos hommes les ont écrasés. En fait, ce sont les Français qui se sont défaits eux-mêmes en lavant le cerveau de leurs enfants pour qu’ils croient que nos ancêtres étaient d’horribles créatures, des diables. Karoniaktajeh nous racontait ces histoires pour bâtir notre détermination. « Vous vous appelez Rotihsken’rakéhte’, et c’est très bien », qu’il nous disait, « mais il pourrait être intéressant de vous appeler la Warrior Society. Vous savez que les Blancs se sont fourrés dans la cervelle que tous les Autochtones sont des machines à tuer. Utilisez les armes que vous avez dans votre arsenal, vos armes psychologiques. » Nous n’avions rien à redire, et nous avons écrit Rotihsken’rakéhte’ au-dessus de l’écusson et Warrior Society en dessous. Quand nous l’avons apporté chez l’imprimeur, il nous a dit : « Si je vous en imprime sept, ça vous coûtera à peu près aussi cher que pour en faire 250. Pour un petit extra, vous pourriez en obtenir 250. » Nous nous sommes dit : « Eh bien prenons l’extra alors, au cas où d’autres voudraient nous rejoindre ! » Nous en avons donc pris 250. Quand nous sommes rentrés à la maison cette nuit-là, nos mères les ont cousus sur nos vestes. Très vite, on se promenait avec nos emblèmes, et tous les jeunes au village les aimaient. « Je peux en avoir un ? » Alors on a distribué nos 250 écussons à tout le monde. Et tous ces jeunes gens se sont mis à se promener avec cet emblème « Rotihsken’rakéhte’ Warrior Society » sur leur veste. Du jour au lendemain, la police voyait des centaines d’Autochtones qui déclaraient haut et fort qu’ils appartenaient à une société des guerriers ! Psychologiquement, ça leur a foutu une belle trouille. Quand on allait dans d’autres territoires, on affichait toujours nos emblèmes sur nos vestes. On les mettait sur des vestes en jeans, des manteaux de cuir, certains avaient des vestes en cuir marron avec des franges, ils les cousaient sur leur veste de tous les jours. Nous avons commencé à porter cet emblème à la fin des années 1960, juste après le blocage du pont international d’Akwesasne en 1968. À cette époque, nous discutions déjà des actions à entreprendre, mais nous n’avions pas encore constitué notre conseil. Lorsque nous avons appris ce qui allait se passer à Akwesasne, nous n’avions pas de voiture, alors nous avons marché une centaine de kilomètres jusqu’à Akwesasne pour participer au blocage et défendre nos droits. C’était la période la plus froide de l’année, et il nous a fallu seize heures et demie au pas de course pour arriver à Akwesasne. C’est dire à quel point nous étions déterminés ! À Akwesasne le barrage était déjà en place. Nous sommes arrivés là-bas et Kahentinetha est arrivée avec son frère Frank. J’avais quinze ans. Si vous m’aviez vu à l’époque, je mesurais cinq pieds, et je devais peser moins de cent livres, mais la police m’a tout de même accusé de l’avoir attaquée ! Toutes les accusations contre moi ont finalement été abandonnées. Si vous regardez le documentaire You Are On Indian Land 3, vous allez voir un jeune qui pousse une voiture pour bloquer le pont ; c’était moi. Il y en avait de la résistance ! À la fin des années 1960, le mouvement hippie attirait l’attention du monde entier. Aux États-Unis, les jeunes de la classe moyenne voulaient vivre différemment. C’est ce qu’on voyait à Woodstock, San Francisco, tout ça. Les gens qui rentraient du Vietnam n’aimaient pas ce qui se passait là-bas. Au début, nous n’avions pas vraiment l’impression de faire partie de ce mouvement, mais avec l’arrivée du mouvement des droits civiques et lorsque les Noirs se sont mis de la partie, le train de la contre-culture est passé à toute vitesse dans les communautés autochtones. Alors nous avons sauté dedans et nous avons partagé nos histoires avec les autres jeunes qui voulaient nous écouter. Nous parlions d’écologie et de la destruction de nos terres. Soudainement, on a vu apparaître cette nouvelle chose qui allait devenir le mouvement écologiste. Des Autochtones imprimaient des affiches de Sitting Bull disant : « Quand ils auront coupé le dernier arbre, pollué le dernier ruisseau, pêché le dernier poisson, alors ils se rendront compte que l’argent ne se mange pas. » Le temps était enfin arrivé pour que nous racontions notre histoire en sentant que nous avions un public fébrile pour l’entendre. published

Tetarontakeh, 1990

Tiré de l’ouvrage La Mohawk Warrior Society. Manuel de souveraineté autochtone. Œuvres choisies de Louis Karoniaktajeh Hall, édition préparée par Philippe Blouin (coord.), Matt Peterson, Malek Rasamny et Kahentinetha Rotiskarewake, version en français traduite et établie par Philippe Blouin, Ségolène Guinard, Claude Rioux et Michel Valensi, Montréal, Éditions de la rue Dorion, 2022, 464 p., ISBN 978-2-924834-31-2, www.ruedorion.ca.

La Mohawk Warrior Society : manuel de souveraineté autochtone. Œuvres choisies de Louis Karoniaktajeh Hall

Philippe Blouin, Matt Peterson, Malek Rasamny et Kahentinetha Rotiskarewake, dir. Montréal, Éditions de la rue Dorion, 2022, 464 p.

LA MOHAWK WARRIOR SOCIETY : manuel de souveraineté autochtone est un ouvrage de référence coordonné par Philippe Blouin, candidat au doctorat en anthropologie à l’Université McGill, qui propose l’ambitieux projet de « transcrire une tradition orale ». (Blouin et al. 2022 : 7) Le livre présente la tradition kanien’kehá:ka (Mohawk) en s’articulant autour de l’histoire de la Mohawk Warrior Society (la société). L’objectif du livre est de « rectifier le manque de sources et la malhonnêteté qui ont conduit beaucoup à présenter la Warrior Society comme des voyous et des gangsters ». (Ibid : 18) L’ouvrage raconte, à partir d’une multiplicité de sources et de supports documentaires, la version de l’histoire des gens qui l’ont vécue. Les œuvres, tant picturales qu’écrites, de Louis Karoniaktajeh Hall servent d’ancrage aux différents textes réunis dans le livre. La couverture, présentant le drapeau de l’unité, devenu un emblème de la résistance autochtone depuis la crise politique de 1990 à Kanehsatake, donne le ton au livre. Il est construit en cinq parties : « Une histoire orale de la Warrior Society », « Raviver la résistance », « À propos de Louis Karoniaktajeh Hall », « Œuvres picturales de Louis Karoniaktajeh Hall » et « Écrits de Louis Karoniaktajeh Hall ». Le tout est complété par des annexes qui présentent notamment un glossaire de mots kanien’kehá et une chronologie de la résistance mohawk servant à mieux comprendre la tradition rotinonhsión:ni (confédération iroquoise, dont fait partie la nation Kanien’keha:ka).

La première partie rassemble quatre témoignages d’acteurs qui ont été au cœur de la création de la Mohawk Warrior Society dans les années 1970. La transcription des entretiens avec Tekarontakeh, Kawkirakeron, Kanasaraken et Ateronhiatakon replace la société dans le parcours de vie de ces quatre hommes. Cette partie permet de mieux comprendre les motivations qui les ont poussés à raviver le feu des Rotisken’rahkéhte (les guerriers mohawks). Les témoignages font état d’une connaissance profonde du passé de la nation Mohawk ainsi qu’une responsabilité contemporaine de respecter la Kaianere’kó:wa, la constitution rotinonhsión:ni. La seconde partie « remonte aux racines culturelles de la résistance mohawk pour mieux comprendre les protocoles, les symboles et les traditions qui caractérisent sa position souverainiste ». (Ibid : 119) Le premier texte par Kahentinetha explique les principes de base de la Kaianere’kó:wa. Le second texte de Ateronhiatakon discute de l’usage du wampum chez les Iroquois. Le troisième et dernier texte de cette partie donne la parole à Karhiio John Kane, qui discute de sa conception identitaire en tant que « guerrier ». L’auteur offre une interprétation qui décolonise ce mot traduit en langues coloniales pour le ramener au sens traditionnel du terme de Rotisken’rahkéhte. Rompant avec l’image des fusils et de la criminalité perpétrée par la résistance à Kanehsatake de 1990, Karhiio y présente un récit tout personnel de ce qu’être un guerrier veut dire. Au sens originel, ce mot désigne les hommes de la nation et leur devoir de mettre en application les décisions prises par les mères de clan. Les guerriers sont les protecteurs de la terre.

Les trois dernières parties portent sur un personnage clé dans l’histoire de la société : Louis Karoniaktajeh Hall. La troisième partie revient sur sa vie à partir de témoignages qui lui rendent hommage en contextualisant son rôle central dans la création de la société des guerriers. Ce penseur de la résistance autochtone a donné le nom à la société, la dotant volontairement d’une aura marquant l’imaginaire allochtone par la traduction de Rotisken’rahkéhte par « warrior » et usant du terme mystérieux de « société ». La quatrième partie présente une série de ses œuvres picturales. Outre son œuvre la plus connue du drapeau de l’unité, l’artiste a produit une quantité importante d’œuvres qui mettent en images la résistance et la tradition mohawk. La dernière partie du livre réunit et traduit pour la première fois les textes de Louis Karoniaktajeh Hall au même endroit. Tant Le manifeste de Ganienkeh (1974), Manuel du guerrier (1979) que Reconstruire la Confédération iroquoise (1985) sont des ancrages importants de la pensée autochtone de la résurgence.

Difficilement catégorisable, La Mohawk Warrior Society : manuel de souveraineté autochtone est une contribution originale. Elle offre un exemple probant du type de travail que peuvent accomplir les sciences sociales pour participer à la décolonisation des peuples autochtones et des sociétés issues des colonies de peuplement, en laissant la parole à ceux et à celles qui vivent et qui font l’histoire. Cette parole autochtone remet en doute les perspectives dominantes sur la Warrior Society, qui représentent leurs actions selon le prisme de la criminalité. Les motivations historiques, politiques et spirituelles complexes de la résistance de la société sont mises en lumière par l’ouvrage. C’est un format que le comité éditorial indique lui-même comme étant périlleux :

Même les meilleures intentions, comme celle de vouloir préserver les langues menacées, risquent d’imposer une compréhension tout occidentale de la langue, voyant dans les mots des choses à ranger dans des cases bien ordonnées, sans égard à la façon dont le ton, le timbre et le rythme sont porteurs de sens. (Ibid : 7)

En ce sens, le travail que s’est donné le comité éditorial est largement réussi. Cependant, nous pourrions adresser une critique méthodologique à l’ouvrage. D’une part, la notion de tradition orale est trop peu définie pour agir comme concept qui articule les textes réunis. La manière avec laquelle l’ouvrage s’appuie sur un savoir transmis dans la longue durée dans une forme reconnaissable n’est pas claire. Il aurait fallu mieux préciser comment le comité éditorial a transcrit une forme orale de transmission des savoirs. D’autre part, il est difficile de sortir une telle approche de son contexte. Comment faire monter en généralité et discuter avec d’autres réalités les connaissances produites dans ce livre ? La tâche reviendra à ceux et à celles qui s’appuieront sur le texte pour produire des analyses et comparer avec d’autres sociétés de guerriers dans le monde. Tout de même, le livre accomplit un objectif important : être une source première de référence sur la Mohawk Warrior Society.

Tant sur le plan théorique que méthodologique, le Manuel de souveraineté autochtone se définit par son style, qui est celui du récit. L’ouvrage réussit à en faire sa plus grande force. La première partie donne une puissance particulière au témoignage en revenant sur l’histoire de la société à partir de quatre perspectives personnelles. Chacune permet de mieux éclairer certains aspects de l’histoire, de manière à former une image parlante. Cette forme se poursuit dans la deuxième partie avec une construction plus théorique par Kahentinehta. Tout étudiant de la nation Kanien’keha:ka se doit de lire ce texte pour comprendre les structures du fonctionnement politique Rotinonhsión:ni. Approfondissant les principes présentés par Kahentinehta, le texte subséquent par Ateronhiatakon est un point d’entrée important dans l’univers des wampums qui permet de mieux comprendre leur fonction centrale dans la tradition politique rotinonhsión:ni. Le dernier texte par Karhiio complète les deux textes précédents par une analyse microscopique, très personnelle, de ce que veut dire « vivre cette tradition politique en tant que guerrier aujourd’hui ». Finalement, les œuvres de Louis Karoniaktajeh Hall font le lien avec la page couverture du livre pour en comprendre son sens plus profond à travers la vie et les autres œuvres de cet artiste, penseur et homme politique kanien’kehá:ka.

Le livre se place comme un passage obligé pour tout étudiant de la nation kanien’kehá:ka et, plus particulièrement, de la Warrior Society. Le récit de la société se tisse dans une méthodologie avant-gardiste qui met à l’avantplan la parole autochtone. Au-delà de la société Warrior, cette méthode offre une compréhension contextualisée et fine de la tradition rotinonhsión:ni, grâce à la proximité avec les acteurs. La difficulté du livre à sortir de ce contexte est une faiblesse qui définit sa force principale : raconter fidèlement l’histoire des gens qui ont fait et qui continuent de vivre avec la Mohawk Warrior Society. Il reste tout de même un travail méthodologique important à faire pour comprendre comment l’ouvrage a transcrit une tradition orale. Le livre laisse le lectorat en suspens sur les méthodes utilisées pour compiler les témoignages et choisir les textes à présenter. L’effacement du comité éditorial marque un choix de style intéressant, mais qui aurait pu être mieux explicité en introduction, où le choix a plutôt été de résumer les apports ontologiques, théoriques et empiriques du reste du livre. Une contribution davantage méthodologique en introduction aurait permis d’articuler une cohérence plus solide avec le reste du texte en clarifiant la notion de tradition orale, en plus de se rattacher à une discussion plus générale avec la littérature sans pour autant sacrifier l’apport contextualisé du livre.

Olivier Sabourin

Doctorant en science politique, Université de Montréal

Note du comité éditorial : Nous remercions Olivier Sabourin et la Revue d’études autochtones pour leur recension de notre ouvrage. Nous apprécions l’idée que « La difficulté du livre à sortir de ce contexte est une faiblesse qui définit sa force principale : raconter fidèlement l’histoire des gens qui ont fait et qui continuent de vivre avec la Mohawk Warrior Society », et que le livre « laisse le lectorat en suspens sur les méthodes utilisées pour compiler les témoignages et choisir les textes ». Cependant, nous voudrions souligner qu’il s’agit d’un choix délibéré pour des raisons de sécurité culturelle. L’histoire des familles traditionalistes qui portent la tradition de la Kaianerehkó:wa montre une tendance systématique de la part d’institutions coloniales comme l’État et les forces armées à s’emparer de toute information méthodologique au sujet de ces familles afin de les utiliser contre elles à des fins de contrôle, de répression et de violation de droits humains.

En février 2022, les Éditions de la rue Dorion lançaient une campagne de souscription pour réunir au moins 2000 dollars afin de boucler le budget de publication et envisager avec sérénité et enthousiasme la réalisation de la traduction, le graphisme, la maquette, l’édition, la correction, la promotion – et surtout l’impression d’un coûteux cahier de quarante reproductions en couleurs des peintures de Louis Karoniaktajeh Hall. Plus d'une centaine de personnes ont répondu à l'appel et la somme amassée s'est élevée à 5 070 $. Nous tenons à leur exprimer notre reconnaissance.

Adrien Malette-Chénier, Adrien Vaillere, Amir Khadir, André-Philippe Chenail, Andrés Fontecilla, Annabelle Rivard, Anne Lardeux, Anne-Marie Lyrette, Anouk Mullins, Arnaud Marchand, Augustin Rioux, Benoit Renaud, Benoit Tellier, Benoit Thibeault, Bernard L., Carlos Cornejo, Cat B., Catherine Racicot, Chantal Ide, Charles Alexandre Trudeau, Charles Ramsay, Christian Labrecque, Christian Massé, Clara Cobbett Labonté, Denis Gravel, Denis Privat, Diane J. Charbonneau, Dominic Champagne, Élisabeth Germain, Emilie Poulin, Emmanuel Martin-Jean, Enrique Portilla, Éric Duguay, Éric Vincent, Erik Bordeleau, Etienne Gévry-Boucher, Étienne Pagé, Etienne Roy Grégoire, Eve Martin Jalbert, François Dumas, Francois Lemieux, François Saillant, Frederic Barriault, Frédérique Godefroid, Gabriel Rompré, Ginette Goulet, Giuliana Fumagalli, Guillaume Duval, Guillaume Manningham, Harold Martin, Henry Cassandre, Jacques Beaudoin, Jacques Blanchet, J.A., Jean-Sébastien Ritchie, Joëlle Dussault, Jonathan Grondin, Josiane Robidas, Judith Vernus, Julie Courchesne, Julie Girard, Julien Brun, Karine L’Ecuyer, Karine Vanthuyne, Lauriane Lavoie, Lindsay Lamarche, Lisandre Labrecque-Lebeau, Louis Trudel, Maïé Fortin, Marc Bonhomme, Marc Lamontagne, Marc-André Audet, Marc-André Simard, Marianita Hamel, Marie-Alice Daoust, Marie-Hélène Desroches, Marie-Josée Forget, Mary Ellen Davis, Mathieu Piché-Larocque, Mathieu Poulin-Lamarre, Michel Rioux, Mickael Côté, Miguel Gosselin Dionne, Miriam Hatabi, Mouloud Idir, Nathalie Miglioli, Nicole Gauvin, Olivier Hérard, Patricia Plouffe, Patrick Dubois, Patrick Tillard, Pierre-Olivier Lafontaine-Bédard, Raphael Valensi, Raphael Veilleux-Patry, Réal Capuano, Rémi Bellemare-Caron, Renato Rodríguez, René Lemieux, Ricardo Peñafiel, Richard Saint-Pierre, Robert de Massy, Ronald Cameron, Roxana Paniagua Humeres, Sabrine R., Sam Raymond, Samuel Lapointe, Sandra Govea, Sébastien Brodeur-Girard, Simon Hobeila, Simon Quesnel-Boulay, Stéphan Corriveau, Sylvain Lafleur, Vanessa Bourgeois, Vanusa Andrade, Vincent Coraini, Vincent Rasse, Walter-Olivier Rottmann-Aubé, Xavier Tréhout, Yan Campion, Yawei Sun, Yves Lacroix

Cet ouvrage biographique et documentaire a été préparé par un regroupement de chercheurs à l’initiative de Philippe Blouin, candidat au doctorat en anthropologie à l’Université McGill, qui s’est basé sur les doctrines philosophiques politiques traditionnelles d’alliances Kanien’kehá:ka (mohawk) pour développer une anthropologie critique des infrastructures sociétaires ; par Matt Peterson, activiste et coréalisateur de projets documentaires ; par Malek Rasamny, doctorant au département d’anthropologie sociale et d’ethnologie de l’EHESS, et par Kahentinetha Rotiskarewake, écrivaine et activiste de Kahnawake.

En introduction, l’équipe expose l’histoire, les traditions orales et les us et coutumes de la Confédération Iroquoise qui ont survécu à travers le temps, telles que perçues par un groupe de traditionalistes claniques matriarcaux, incluant la Société des Guerriers, (Warrior Society), le tout accompagné de repères chronologiques et sociologiques.

La première partie présente les biographies, philosophies et récits de quatre traditionalistes de la Warrior Society qui ont conclu qu’il était nécessaire de réorganiser et de poursuivre la tradition selon des normes coutumières dans les années 1960 et 1970. Cette partie décrit également la création du drapeau des Warriors, où l’on voit le profil d’un autochtone.

La seconde partie expose la Constitution de la Confédération apportée par les Great Peacemakers, dont Dekanawida et Hiawatha, comprenant 117 articles ou wampums désignant les protocoles de prises de décisions consensuelles dans la Maison Longue pour résoudre les conflits au sein des nations, selon les perceptions des traditionalistes mises de l’avant dans l’ouvrage. Cette partie se termine avec la vision d’un animateur de radio à New York et à Washington, Karhiio John Kane de Kahnawake, qui se définit comme un Warrior à cause de ses engagements, informant la population américaine sur les enjeux autochtones, et soulignant comment les écrits de Hall l’ont influencé, à la fois par son Manuel du guerrier et par sa philosophie de la Warrior Society.

Une troisième partie, intitulée « Qui était Karoniaktajeh ? », présente la vie artistique et les implications politiques et sociétaires de Hall, cet ancien chrétien devenu traditionaliste influent dans les journaux communautaires, tant par son drapeau que par les liens qu’il a tissés entre les Warriors et l’American Indian Movement (AIM) aux États-Unis, et par sa promotion de la conservation de l’intégrité territoriale et identitaire souveraine de la Confédération iroquoise, se dissociant d’appartenances américaines et/ou canadiennes. Les éloges à son égard se poursuivent dans la sixième partie intitulée « Hommage à Karoniaktajeh », contenant 18 brefs témoignages de divers admirateurs, tant universitaires que traditionalistes.

La quatrième partie, « OEuvre picturale de Louis Karoniaktajeh Hall », présente ses diverses toiles et oeuvres, principalement tirées du fonds de la Fondation Louis Karoniaktajeh Hall créée en 1999, ainsi qu’une carte de Blouin montrant les territoires et villages de la Confédération selon Hall. La dernière partie, « Écrits de Louis Karoniaktajeh Hall », présente divers fragments de ses accomplissements, observations et perceptions, dont un ouvrage intégrant 10 commandements mohawks rédigé en 1979, pour conclure avec Reconstruire la Conf.d.ration iroquoise, publié vers 1985. De l’introduction à la conclusion, les lecteurs sont guidés vers des annexes incluant une chronologie historique et divers points de repère, de 1534 à 2020, ainsi qu’un glossaire étymologique permettant de saisir la symbolique linguistique de la tradition orale, que ce soit pour des mots, prononciations, objets, personnes, faits, coutumes, lieux, rites, saisons, etc. Toutefois, le groupe des traditionalistes sur lesquels les auteurs ont misé expose des points de vue qui ne font pas toujours l’unanimité chez les Haudenosaunee, ce pourquoi j’emploie le terme perception à plusieurs reprises dans le présent compte rendu. Effectivement, comme au sein des diverses factions prônant des théories et pratiques variées dans chaque communauté, le groupe valorisé dans l’ouvrage représente une partie des visions des doctrines des membres des communautés formant la Confédération iroquoise. Or ainsi, l’ouvrage ne semble miser que sur l’école d’un seul groupe d’interlocuteurs de pensées, émanant d’un cercle préconisant une philosophie commune depuis trente à cinquante ans.

Les mouvements du retour desdits traditionalistes ont initialement pris naissance due à des points contentieux provenant de la Loi sur les Indiens, relativement aux chefs traditionnels, retirés depuis ce temps de la loi. Cela nous rapporte à deux écoles en litige, soit les présents administrateurs des communautés (des chefs reconnus par des juridictions qui furent imposées dans la Loi depuis 1924) et les chefs traditionnels de pratiques coutumières. La première école est peu présente dans cet ouvrage alors qu’en 1949, le Mohawk Joseph Mitchell, anciennement employé sur les structures d’aciers à New York, avait présenté un portrait sobre et neutre de la situation sociologique des Mohawks. Ne favorisant aucun groupe ou sousgroupe de pensées traditionnelles, il a simplement et humblement dépeint un portrait global, dans un compte-rendu qui fut grandement apprécié, tant chez les traditionalistes que chez les moins traditionalistes, et ce, à travers toute la Confédération.

Pour conclure, cet ouvrage est au coeur de divers débats sur différents médias sociaux rassemblant divers chercheurs et chercheures interuniversitaires, muséologues, anthropologues et ethnologues reconnus internationalement, ainsi que des membres issus des communautés Haudenosaunee du Québec de l’Ontario et des États-Unis. L’ouvrage est tantôt critiqué, tantôt louangé, ce qui en fait un document d’intérêt pour découvrir un courant de pensée haudenosaunee.

Eric Pouliot-Thisdale

Université de Montréal

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